Votre dernier album s’intitule « Poetry of the Deed». Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs français sa signification ?
Oui, je voudrais essayer de répondre en français, mais mon français n'est pas aussi bon qu'il l’était! C’est en fait une référence à un philosophe russe appelé Mikhail Bakunin qui a écrit un pamphlet sur la propagande de l'acte. Il prônait cette idée-là: plutôt que d'écrire des brochures sur la façon dont pensez que le monde devrait être organisé, vous devriez sortir et agir ! faire les choses plutôt que de s'asseoir pour théoriser à leur sujet, c'est la meilleure des propagandes! Je ne m’intéresse pas à la propagande, mais j’ai toujours pensé que l’action primait sur les mots. Donc la poésie de l’action est en quelque sorte l’idée que, au lieu de s’asseoir et de faire quelque chose comme lire de la poésie ou écrire de la poésie et souhaiter que sa vie soit plus poétique, on devrait se lancer et vivre une vie aussi aventureuse et poétique que possible.
Ce n'est pas une décision consciente.... enfin, la seule partie consciente, c’est que, musicalement quand j'ai commencé, le premier album solo que j’ai fait ce n’était vraiment que moi et j’engageais des musiciens en extras, quand j’en avais besoin, alors que maintenant, j'ai un groupe complet qui me suit partout en tournée et je pense que musicalement le registre est un peu plus étendu ; même si je continue à être le seul à écrire, il y a maintenant cinq musiciens sur le disque au lieu d'un.
Mais ce que j’écris, il est important pour moi de ne pas trop en analyser le processus parce que je crains qu’il ne se brise. Je m'assois, simplement, je ferme les yeux et j'essaie d'écrire ce que je pense être une bonne chanson. Je suppose que cela reflète où j'en suis dans ma vie et je pense qu’actuellement je suis dans une période un peu plus positive - ou du moins pendant que j'écrivais le dernier album - que je ne l'étais quand j'ai fait mon premier et cela transparaît.
Dans plusieurs de vos chansons comme « Try this at home », vous encouragez les gens ordinaires à faire de la musique plutôt que d’en consommer. Souhaitez-vous nous en dire plus à ce sujet?
J'ai grandi en écoutant de la musique punk-rock et pour moi la partie la plus excitante et la plus importante du punk-rock est le sens de l'iconoclasme et le sentiment qu'il n'y a pas de ligne de démarcation entre les gens qui font de la musique et ceux qui écoutent de la musique. Qu’en fait c'est le même genre de personnes qui font les deux. Et si ce n’est pas le cas, alors la musique a moins de valeur. Quand à moi, je n'aime pas le mot fan, je n'aime pas l'idée d’être différencié de mon public d’une façon ou d’une autre. Vous savez, évidemment, si c'est mon spectacle, c’est moi qui suis debout sur scène, et pendant cette heure ou le temps du show, je vais être au centre de la musique. Mais dès que j'ai fini de jouer alors je suis comme toutes les autres personnes dans la foule - et je ne voudrais pas qu'il en soit autrement de toutes façons. Je pense que cette chanson essaie seulement de cristalliser les idées d’iconoclasme - et non pas de verser dans le genre de la connerie mythologique du rock 'n' roll qui veut qu’il existe une rock star qui est comme cette classe aristocratique qui se permet de se comporter en trou du cul envers tous les autres. Ce que j'ai toujours considéré comme une idée vraiment stupide.
Vous êtes tout juste de retour des États-Unis et au fil des années vous avez suivi des tournées très exigeantes. Ceci
Je pense à cela comme au piège de The Streets (Groupe Britannique) : son premier album était génial parce qu'il a écrit sur ce qu'il connaissait, ce qui, à l'époque était sa vie quotidienne en tant que chômeur à Londres et c'est un enregistrement fantastique. Le problème c’est que cet album l’a rendu très célèbre et il a continué à écrire sur sa vie quotidienne, mais sa vie quotidienne c’était se retrouver dans les « talk-shows ». C'est un « catch 22 » (cercle vicieux) vous savez, parce qu'on veut continuer à écrire avec honnêteté sur son environnement. Donc oui, j'ai écrit pas mal de chansons sur le fait d’être sur la route. J’en suis arrivé au point où j’essaye consciemment de ne pas trop écrire à ce sujet parce que, essentiellement, je ne veux pas produire des albums sur les tournées : la plupart des gens ne passent pas leur vie en tournée au Royaume-Uni. Vous savez je ne veux pas aliéner mon public, mais en même temps, j'essaie d'écrire sur ma vie honnêtement. Il est difficile de trouver l'équilibre et je pense que particulièrement avec la chanson « The Road » qui parle précisément de la route, je voulais que ce soit le dernier mot sur ce sujet au moins pour quelques temps.
Pensez-vous qu’être sur scène est comme une drogue ? Pensez-vous que vous arrêterez un jour ?
J'adore être sur scène. J'aime tous les aspects de la tournée. J'aime être dans une ville différente chaque jour, rencontrer de nouvelles personnes, voyager. J’ai beaucoup de chance parce que j'aime mon travail, j'aime ce que je fais. Une de mes amies me disait l'autre jour, après m’avoir vu sur scène - elle ne m'avait pas vu sur scène depuis longtemps - « tu te sens bien là-haut ». C'était vraiment un compliment. Combien de temps vais- je le faire ? Cela sera plutôt dicté par la fidélité de mon public plutôt que par ma volonté. J'aimerais pouvoir toujours continuer en espérant qu’il y aura assez de public et en espérant que j’en serais capable.
Certaines de vos chansons parlent de politique : en traitant de la désillusion avec le mouvement anarchiste ou la gauche. Certaines appellent à l’action ou parlent des libertés civiles et sont donc politiques par nature, comme « Poetry of the Deed ». Quelle est votre relation avec la politique en ce moment ? Etes-vous impliqué d’une quelconque façon?
C'est une question difficile. J'ai beaucoup d’opinions politiques, fortes et passionnées. On peut dire ça : j’ai traversé une longue période pendant laquelle j’ai perdu mes illusions sur la politique, parce que quand j'étais plus jeune, j'étais très passionné par l'anarchisme de gauche et je m’en suis détaché. J’ai passé beaucoup de temps sans être impliqué. Récemment j’ai réorganisé la manière dont je pense et j’ai trouvé une façon de réfléchir sur les choses qui- pour moi- fonctionne et qui agit de façon pratique et réaliste. Je ne veux pas devenir un chanteur politique, je ne veux pas être un chanteur engagé. Par exemple, je pense qu’un des problèmes de Billy Bragg (chanteur Britannique très engagé) est que tellement de gens se soucient de sa politique que certains de ses fans ne s’intéressent pas vraiment à son écriture ou à ses chansons sur sa vie personnelle, qui, je pense, sont bien meilleures que ses chansons politiques. Je ne veux pas y passer ma vie entière. Si vous devenez chanteur politique, on attend de vous que vous participiez à toutes les manifestations. Il y a beaucoup de choses que je n'ai pas vraiment à coeur. Beaucoup de gens s’imaginent que je pense des choses assez différentes de ce que je pense vraiment. J'ai énoncé ça de façon très diplomate. Je m’intéresse à la liberté et probablement me décrirais comme un libertaire. Je rencontre beaucoup de gens en T-shirts du Che Guevara qui pensent que nous avons quelque chose en commun politiquement : chose que nous n'avons pas en réalité. Au bout du compte, je suppose que, même si je peux me passionner pour la politique, il y a des choses plus importantes dans la vie que la politique et j'espère vraiment qu’il m’est possible de m'asseoir et de boire une bière avec n'importe qui et de n'importe quel bord politique, de chanter et de passer un bon moment.
Vos chansons s’adressent à un large éventail de personnes et elles parlent des situations de tous les jours, il y a aussi beaucoup de références littéraires ; la littérature a-t-elle joué un rôle important dans votre vie ?
Je lis beaucoup. Je ne voudrais pas du tout me décrire comme érudit. En littérature, je sais ce que j'aime. Il y a quelques auteurs et œuvres auxquels je reviens toujours. Elliot a eu une influence importante sur moi, l'autre est Philip Larkin. Je suis très amoureux de sa poésie, je pense que c’est un magicien: il était de Hull et est mort dans les années 1980. Il a écrit de si belles « anglicités» mélancoliques que je suis un grand fan de son oeuvre.
En matière de paroliers mes plus grandes influences sont d'autres chanteurs. Il y a un gars qui s'appelle John Samson qui chante pour un groupe appelé « The Weaker Thans », qui est, en ce qui me concerne, tout simplement un génie total. Donc, je l'écoute beaucoup.
Il y avait un groupe dans les années 90 qui s’appelait Arab Strap - leurs paroles me brisent le cœur, chaque fois que je les entends. Je passe beaucoup de temps à écouter et analyser les paroles ainsi que la poésie.
Vous avez une foule immense de fans, hommes et femmes, dont quelques-uns même ont fait tatouer vos paroles sur leur corps....
C’est marrant, parce que je me sens humble quand les gens se font tatouer mes paroles. En même temps j'ai des paroles et des logos de groupes tatoués sur moi, donc je comprends leur motivation. Je suis très flatté que ce soit moi qu'ils aient choisi. J’ai fait ce métier pendant très longtemps et les gens s’en fichaient complètement et maintenant c’est très gratifiant de savoir que ce n’est plus le cas ; et aussi de savoir que ce n’est pas arrivé parce que j’ai signé un contrat avec un grand label qui m’a donné 100.000 £. C’est venu parce que j’ai fait des tournées pendant très longtemps et que j’ai travaillé très dur. Je suis assez fier de la façon dont j’ai réalisé mon succès, et j'espère que ça ne semble pas arrogant. Je me sens heureux de l’avoir fait de façon honnête et c'est important!
Comme beaucoup de vos chansons sur vos deux premiers albums avaient des thèmes très personnels, pensez-vous que vos fans ont l’impression de vous connaitre ? Si oui, comment gérez-vous cela?
Oui, parfois. La plupart du temps les gens comprennent que même si j’écris des choses personnelles, il y a toujours un certain degré de détachement. Je n’étale pas complètement et totalement ma vie dans mes textes .De temps en temps, je rencontre des personnes qui pensent qu'elles savent absolument tout ce qu'on peut savoir sur moi. Mais en fin de compte, c'est un compliment parce qu’ils ont beaucoup écouté mes chansons. Je leur dis tout simplement qu’ils ne connaissent pas la totalité de mon histoire.
Vos débuts avec Kneejerks et Million Dead (Punk Rock) étaient différents de votre style actuel. Est-ce que vous revisiterez un jour ce style de musique?
Je pense que ce que je fais aujourd’hui sera le principal style de musique que je ferai pendant longtemps, mais j'aime l'idée de faire un projet en parallèle. Et j'ai eu des conversations avec des amis à ce sujet. Le problème est que je n'ai pas eu de temps au cours de ces cinq dernières années. Mais j'aime l'idée de mettre sur pied un groupe avec quelques amis, faire un projet, nous donner un mois pour écrire un album, puis se réveiller et faire autre chose.
J'écoute encore beaucoup de punk rock et de hardcore. Il y a encore une petite partie de moi qui veut simplement jouer de la musique en colère et forte.
Quels sont vos projets ?
Nous allons en studio en Janvier faire mon quatrième album, et quand ce sera fait, je serai alors en tournée partout pour toujours. J'espère vraiment revenir en France dès que possible. J'aime beaucoup la France – je sais ça sonne faux dans une publication française !
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