C’est un terme comme les aiment les économistes et les directeurs financiers, Ťmaximisationť, qui sent bon les grandes écoles de commerce. Il fait penser ŕ la notion de maximisation des recettes, des profits, des parts de marché, de la satisfaction des actionnaires. L’usage en est parfois dévoyé, certes, mais, cette fois-ci, Airports Council International, innove et nous stupéfie par son audace. En effet, le puissant groupement professionnel annonce pour avril un colloque d’une durée de 3 jours ayant pour thčme unique la maximisation des dépenses des passagers. En clair, l’art de les inciter ŕ un maximum d’achats pendant qu’ils attendent le moment d’embarquer. Les aéroports ne l’avaient jamais avoué aussi clairement : les voyageurs sont officiellement les clients des compagnies aériennes mais aussi les vaches ŕ lait des gestionnaires aéroportuaires. Comme quoi on en apprend tous les jours.
Le télescopage des informations est amusant. Il y a quelques semaines, nombre de plates-formes européennes, dont Roissy, ont été lamentablement plantées par le mauvais temps, la gestion déplorable de leurs moyens de dégivrage et leur incapacité ŕ maîtriser la crise qui en a résulté. Aucun hara-kiri n’a ensuite été signalé, quelques ministres se sont tout au plus énervés puis la vie a repris son cours. Et voici que, sans laisser passer un délai de décence, les aéroports cherchent ŕ maximiser leurs recettes sur le dos des passagers aériens…
Avant męme le discours inaugural de cet étonnant colloque, ŕ consulter la liste et les titres de gloire des intervenants, on a tout compris. Il s’agit, pour aller ŕ l’essentiel, de parfaire les méthodes permettant aux gestionnaires aéroportuaires, aux marques, ŕ leurs concessionnaires, d’obtenir des passagers qu’ils dépensent davantage d’argent. Voyager plus pour dépenser plus. Et d’expliquer qu’il s’agit tout d’abord d’accorder les violons, ceux des aéroports et des directeurs commerciaux des commerces concernés.
Aucun sujet n’est tabou. On se souvient, ŕ cette occasion, du lobbying effréné des membres d’ACI quand fut annoncée la suppression des ventes hors taxes dans l’Union européenne. Une mesure tout simplement logique, qui avait suscité un véritable chantage. L’économie tout entičre allait s’écrouler, des milliers d’emplois supprimés, parce que les voyageurs intra-européens, qui ignoraient en toute bonne foi qu’ils étaient maximisés, devraient payer leur cigarettes et Pernod au prix plein.
Puis surgirent d’autres inquiétudes, ŕ commencer par celles liées aux mesures de sűreté de plus en plus sévčres, affectant notamment les liquides interdits en cabine, la limitation des dimensions des bagages ŕ main. Aujourd’hui apparaît un autre problčme, l’interdiction communautaire de toute publicité pour le tabac. D’oů la crainte, énoncée le plus sérieusement du monde, d’une fatale perte de recettes.
Bien sűr, en donnant la parole ŕ la défense, on pourrait rétorquer que les recettes annexes des aéroports permettent, en principe, de contenir le montant des redevances imposées aux compagnies aériennes. La réalité, on le sait, est différente dans la mesure oů, privatisation partielle ou totale oblige, il s’agit bel et bien de faire des profits. Ce qui explique que seuls les aéroports gagnent bien leur vie au cœur de la chaîne du transport aérien. Ce constat relčve aussi d’idées reçues d’une autre époque, celle oů le voyage aérien présentait un caractčre élitiste. Dčs lors, les passagers étaient supposés prospčres et d’autant plus attirés par les boutiques alignées dans les aérogares.
Il y a lŕ un manque de décence en męme temps qu’une maničre de faire choquante. Heureusement, l’actualité nous permet de temps ŕ autre de faire la part des choses. En témoigne la pose de la premičre pierre du futur terminal low cost de l’aéroport Lyon Saint-Exupéry. Un bâtiment Ťŕ services simplifiés nouvelle générationť : des banques d’enregistrement, des fauteuils, une buvette et des journaux. Mais gučre de boutiques rutilantes en Technicolor dans la mesure oů les voyageurs maximisés, ceux des pleins tarifs, ne passeront pas par lŕ.
Pierre Sparaco - AeroMorning