L’adaptation de La Recherche du temps perdu par France 2 est, à première vue, une nouvelle réjouissante. Enfin, nous voilà sorti du XIXe et de sa cohorte d’adaptations de Maupassant et e Balzac. Serions-nous entrés définitivement dans le XXe ?
Certes, la promesse de la réalisatrice, Nina Companeez fait un peu peur : elle prétend porter à l’écran en 4 heures les « sept volumes du roman » (Le Monde 30-31 janvier 2011). En fait, il vaudrait mieux dire qu’elle en garde les grandes lignes de l’intrigue, la description d’un monde qui est en train de disparaître, pour oublier tout ce qui fait la modernité de Proust, son attirance pour un monde qui naît, en sorte que La Recherche est aussi, d’abord, une encyclopédie des nouvelles technologies, avec sa description du cinéma, du téléphone et de l’aviation.
Les critiques ont encensé l’entreprise : la beauté des costumes, la précision des décors et, surtout, le jeu de l’acteur principal, qui joue le narrateur, Micha Lescot. D’où vient alors la consternation que j’ai ressenti hier en regardant ce téléfilm ? Bien sûr, du sentiment très fort de ne rien retrouver de Proust. Plus : d’être face à une incompréhension totale de son œuvre.
Une voix off, juste après la diffusion du premier épisode, m’a immédiatement fait comprendre d’où venait la méprise de Nina Companeez : « Demain, retrouvez les fameuses mémoires de Marcel Proust ». Évidemment, c’est d’abord ce féminin qui m’a choqué, révélant le manque de culture générale de la voix de cette chaîne qui a pourtant comme mission de diffuser un programme culturel par soir. On y ignore manifestement que, quand il est au pluriel et désigne un écrit revenant sur le passé d’un homme, “mémoires” est au masculin. Mais le pire est ailleurs : confondre La recherche avec des « mémoires » ou faire de Proust, comme certains journalistes, un diariste. Or, il faut le rappeler, le narrateur de la Recherche n’a pas de nom et la Recherche est un roman, composé comme une « cathédrale », comme disait Proust. Ignorance de l’auteur, du producteur ou du diffuseur ou volonté d’attirer le spectateur en jouant de l’argument du réel, comme tous ces films hollywoodiens qui font leur publicité sur le fait d’être tiré d’une histoire vraie ? Je pencherais volontiers pour l’ignorance à la vision de ces téléfilms.
Premier indice : le fait qu’on ait casté un acteur, qui ressemble à Proust lui-même. Passe pour ce choix. En revanche, il est assez ridicule de le voir jouer une sorte de folle effarouchée. L’adaptatrice a-t-elle oublié que le narrateur de la Recherche est hétérosexuel, contrairement à Proust, et qu’il n’est pas non plus ce jeune freluquet que nous voyons à l’image? Le narrateur revient sur son passé, bien après l’avoir vécu : il n’a donc pas la voix de ce jeune homme que joue Micha Lescot. Cette grossière erreur est un autre indice d’une lecture absurde de la Recherche. Il est quand même paradoxal de faire passer le roman pour une autobiographie quand on se rappelle que Proust a été le premier, dans le Contre Sainte-Beuve, à lutter contre une critique qui assimilait l’homme à l’œuvre. Comme l’écrit le Dictionnaire des littératures (Larousse) : « il n’y a pas d’assimilation possible entre le Narrateur, dilettante, oisif et constamment en attente de quelque chose qui ne se produira qu’à la fin de la Recherche, quand lui-même est au matin de la vieillesse, et le vrai Proust débordant d’activité dans son adolescence, fondateur avec quelques amis d’une revue, le Banquet, lancé dans le journalisme, assoiffé de savoir, y compris du plus théorique (il passe une licence en droit et une licence de philosophie), qui n’hésite pas à écrire, bien au contraire, puisque, dès 1895, il commence Jean Santeuil… » (p. 1304).
Que reste-t-il, dans ces conditions, de La Recherche ? Rien, évidemment. Je tremble d’entendre un jour : La Recherche ? Je ne l’ai pas lu, mais je l’ai vu à la télé ! Ce téléfilm n’adapte pas la Recherche, il ne raconte pas non plus la vie de Proust. C’est une aimable bluette qu’on peut regarder comme un téléfilm soigné.
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