Le temps de l’incertitude et de l’incohérence fiscales

Publié le 28 janvier 2011 par Lecriducontribuable

Par Jean-Philippe Delsol, avocat fiscaliste et administrateur de l’Iref.

Nous vivons un temps de grande et dangereuse imprécision fiscale. Rien n’y est, en ce domaine, jamais acquis ; le passé même peut y être remis en cause. La fiscalité s’installe dans le provisoire, elle vit en meublé et déménage sans cesse, au grand dam de l’économie qui a besoin de sécurité pour prévoir, organiser, anticiper. Le monde en appelle à plus de stabilité financière, mais il devrait tout autant et sans doute plus encore exiger de la stabilité fiscale pour recréer de la croissance. Le gouvernement prétend toujours que la charge des contribuables n’augmentera pas en 2011, mais il a fait adopter un budget qui accroît les contributions fiscales de 11 milliards d’euros supplémentaires. Il a aussi ajouté du maquis au maquis et de l’incertitude à l’incertitude dans la confusion des textes qui régissent la fiscalité.

Dans les entreprises d’abord, la gestion sociale est désormais soumise à de nouvelles contraintes qui contrarient les projets antérieurement arrêtés, au travers notamment de :

- l’aménagement du calcul des allégements généraux de charges patronales, notamment de la réduction Fillon ;

- le renforcement des prélèvements applicables aux retraites chapeaux ;

- l’augmentation de la contribution sur les stock-options payée par les bénéficiaires et leurs employeurs.

Les entreprises supporteront en outre un impôt, dit forfait social, sur la participation et l’intéressement porté de 4 à 6% pour celles d’entre elles ayant plus de 50 salariés. Le versement d’un intéressement pour la première fois ou toute augmentation de l’intéressement ne donnera plus droit à crédit d’impôt. Les primes et treizièmes mois versés en 2011 seront intégrés au calcul des allégements de charges, générant ainsi des charges supplémentaires de 2 milliards d’euros pour les entreprises. La gestion fiscale des sociétés est également perturbée. Les entreprises disposeront, certes, d’un crédit d’impôt recherche majoré la première année. Mais la contribution à la valeur ajoutée des entreprises, ex-taxe professionnelle, des groupes sera calculée en fonction du chiffre d’affaires de ceux-ci et non au niveau de chacune des sociétés du groupe, soit une charge supplémentaire de 160 millions. Les professionnels libéraux pourront être assujettis par les communes à une contribution économique territoriale minimum de 200 à 6.000 euros. Les compagnies d’assurances seront pour leur part surtaxées et les assurés en paieront le prix demain.

Par ailleurs, de nombreuses mesures contenues dans la loi de finances pour 2011 alourdissent la charge fiscale des particuliers. Il s’agit notamment des relèvements de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu (de 40 à 41%), du prélèvement forfaitaire libératoire (PFL, de 18 à 19%), du taux forfaitaire applicable aux plus-values mobilières et immobilières (de 18 et 16% respectivement à 19%) et du taux du prélèvement social sur les revenus du capital (de 2 à 2,2%). Il faut ajouter que les quelque 700.000 particuliers employeurs déclarant leur employé au salaire réel perdent le bénéfice de l’abattement de 15 points sur les cotisations sociales employeur et les offres « triple play » deviennent assujetties au taux de TVA de 19,6% au lieu de l’être en partie au taux de 5,5%, ce qui représente un prélèvement supplémentaire de 1,1 milliard.

Certaines mesures ont sans doute leurs bonnes raisons, comme celle qui supprime l’avantage accordé antérieurement aux personnes qui se marient, se pacsent ou divorcent de pouvoir faire trois déclarations dans l’année, même s’il me semble que, comme l’a réclamé en vain Hervé Mariton, il eût été normal de distinguer la situation du mariage des autres. La remise en cause du dispositif Scellier est également justifiée, mais dans ce cas, pourquoi ne pas le faire disparaître plutôt que de se contenter de le raboter de 10% ?

D’une manière générale, la fiscalité devient une loterie tant l’imposition est hasardeuse à moyen et long terme, voire à court terme. Les contrats d’assurance-vie seront désormais soumis à la CSG chaque année et non plus au dénouement du contrat, même pour les contrats en cours souscrits sous le bénéfice d’une autre loi. La réduction des crédits en faveur du photovoltaïque est sensée, mais elle remet en cause une filière industrielle et commerciale qui s’était construite sur ces engagements fiscaux. Il en est de même pour les investissements au capital des PME qui ne seront plus l’an prochain déductibles de l’ISF qu’à concurrence de 50% de leur montant au lieu de 75%. Il aurait peut-être été prudent d’attendre pour désavouer cette mesure phare et intelligente du candidat Sarkozy alors même que le gouvernement envisage la suppression de l’ISF à compter de 2012 !

Curieuse justice qu’une année bouleverse, vaine fiscalité que celle qui fait fi des engagements et des contrats conclus dans la durée. Globalement les contribuables supporteront des milliards d’euros de charges supplémentaires en 2011 tandis que la dette publique continue de grimper et devrait atteindre 86,2% du PIB en 2011 et 87,4% en 2012. Ils subiront surtout des mesures rétroactives, notamment sur l’assurance-vie, et ils vivront un peu plus encore dans une incertitude fiscale permanente alors que c’est de stabilité que les citoyens, qui sont tous entrepreneurs à leur manière, ont besoin pour décider, innover, mener leurs projets, emprunter, dépenser… que ce soit pour l’achat d’une maison ou pour embaucher, pour créer une entreprise ou fonder une famille.

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