Durand © Guy Delcourt Productions - 2010
L’auteur revient sur une période tourmentée de son passé, un devoir de mémoire en quelque sorte, un projet en partie impulsé à la demande de ses proches.
Les faits : Judith est une étudiante de 20 ans. Peu à peu, sa santé vacille, des troubles (absences, perte de l’équilibre…) vont peu à peu s’installer dans son quotidien. Elle n’en aurait pas eu connaissance si sa famille ne lui avait fait remarquer ses malaises et des oscillations dans son comportement. Judith se décide à consulter un neurologue, le diagnostic tombe comme un couperet : il s’agit de troubles épileptiques. Après une longue période de déni, des rééquilibrages permanent de traitements, des prises en charges médicales… son état se stabilise. La jeune femme revient sur cette période et tente de lever le brouillard sur les souvenirs confus.
Entre témoignages de son entourage, retranscription de son ressenti en mots et en images, le récit nous emmène au cœur de la maladie.
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Un récit intimiste et franc dans lequel il est facile d’entrer. L’auteur nous ouvre les portes de son passé, elle pose sur la table toutes les pièces du puzzle et reconstitue peu à peu l’image d’ensemble. Lorsqu’on visite son site, on y découvre un synopsis déroutant :
C’est l’histoire d’une jeune fille, Judith, âgée d’à peine plus de 20 ans, d’un drame dans sa vie qui semblait être sans retour, d’une chute dans le monde de la maladie, dans la perte de soi.
Ce récit est une bataille contre l’adversité. Il parle de la mémoire parfois si fragile, d’une convalescence inattendue, de comment un jour, on réapprend son alphabet, à compter, à retrouver ses souvenirs.
Élodie Durand
Cette pudeur dans la présentation de l’ouvrage, on la retrouve dans le récit. L’artiste se dégage donc de sa propre identité (ou presque) pour construire son récit. En faisant vivre Judith, elle extériorise ses souvenirs, panse ses plaies progressivement, comme si le personnage de son ouvrage était une autre Élodie, jeune femme d’une autre époque dans laquelle elle ne s’identifie plus ou mal.
Un trait doux, expressif, une force de dessin qui est tout à fait adaptée et qui vient servir le récit de manière pertinente. De plus, on voyage dans deux ambiances graphiques différentes. La première ambiance est douce, mordante, crue, troublante. L’auteur se met en scène, personnage en premier plan sur des fonds de case assez minimalistes (mettant en exergue la portée de ses propos). Seules les décors extérieurs sont enrichis de détails, perdant parfois le personnage dans une forme d’anonymat et nous aidant à matérialiser la chute vertigineuse(car abrupte et très rapide) de sa perte de repères et de sa personnalité. Les extraits issus de la seconde ambiance graphique ont été réalisés pendant la phase critique de la maladie (années allant de 1995 à 1998) et font évoluer de petits personnages assez basiques techniquement sur des fonds de cases complètement vierge. Le trait est hésitant, imprécis et voire brouillon à certains moments. On dirait une sorte d’ »états d’âme » issus d’une autre période. Ils matérialisent de l’angoisse, de la tristesse et un personnage qui est face à face à des démons imaginaires.
Une lecture que je partage avec Mango et les participants aux
Dans ce récit, la maladie est personnifiée à tel point qu’elle en devient presque le personnage principal du récit. Une maladie qui va rythmer la vie de Judith/Élodie pendant trois ans et dépossède cette dernière de son humanité. L’occasion pour l’auteur de faire face à un passé douloureux et d’imprimer de manière indélébile ses souvenirs flous ou inexistants de cette période. Une parenthèse abrupte dans la vie de l’auteure.
Ici, le handicap est décortiqué avec franchise, l’auteur ne lisse pas les contours d’une réalité comme dans Journal d’une bipolaire, l’auteur n’étale pas la vie de ses proches ou n’utilise pas de manière systématique des métaphores pour dire les choses (comme dans L’Ascension du Haut Mal). Le ton est juste, point n’est besoin de trop en faire. Je suis assez convaincue par ce choix et sort (de ma lecture) touchée par ce témoignage.
La Parenthèse a reçu le Prix Nouvelle République 2010 (album d’un auteur régional). Prix Révélation au Festival d’Angoulême 2011.
Yvan m’avait conseillé de lire cet album, voici sa chronique. Je vous propose aussi de lire les avis d’Harenzo, des Modernes et de voir la preview sur Digibidi.
Merci Oliv’ d’avoir eu la bonne idée de mettre La Parenthèse dans tes bagages ! J’attends de pouvoir lire ton avis ! ^^
Extrait :
« Je m’inquiétais de vos gros yeux, de vos regards angoissés, de vos questions. Non, je ne savais pas si j’avais fait une crise, ni si j’allais mieux. Non, je ne savais pas ce qui s’était passé… Moi, ce que je voulais, c’était ne plus jamais avoir peur » (La Parenthèse).
« Dans ma tête, ça allait dans tous les sens. J’étais un monstre. Un monstre s’était emparé de moi tout entière. Je n’avais plus de tête. Ma tête était une prison. Je ne pensais pas que je mettrais tant d’années à me réconcilier avec elle » (La Parenthèse).
La Parenthèse
One Shot
Éditeur : Delcourt
Collection : Encrages
Dessinateur / Scénariste : Elodie DURAND
Dépôt légal : mai 2010
Bulles bulles bulles…