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L’ « information économique », le cheval de Troie des dictateurs

Publié le 02 février 2011 par H16

Ça manquait. On avait les lois, diverses et variées, sur la propriété intellectuelle, le droit d’auteur, les brevets, les secrets de fabrication, le secret professionnel. Mais il manquait, de toute évidence, une nouvelle couche, plus générale, véritable patch 2.0 permettant d’englober tout ça dans une grande famille allant de la lutte contre les méchants pirates jusqu’à celle contre les Wikileaks : les socialistes de droite de l’UMP n’ont pas pu s’en empêcher et proposent donc une nouvelle usine à gaz généraliste pour protéger les informations économiques.
Une nouvelle page est en train de s’inscrire, à verser au vaste dossier de la Protection Numérique des Gentils Contre Les Méchants, dossier déjà lourd des nombreux volumes concernant la LOPPSI, la DADVSI entourant la création de la HADOPI, avec le succès flamboyant et la pertinence qu’on connaît.

Et comme d’habitude, on nous vend la mesure les yeux pleins de larmes à l’idée des terribles conséquences forcément néfastes qu’un rejet d’une telle loi entraînerait. Si une poignée de députés de la majorité, armés de leur encrier et de leur plus belle plume, s’est lancée à l’assaut des hackers qui pillent nos données les plus sensibles, c’est qu’il y va de l’avenir de la Fraônce !

Et cet avenir passe, forcément, par la protection des Zinformations Économiques.

Pratique, cette appellation recouvre ainsi les informations « ne constituant pas des connaissances générales librement accessibles par le public, ayant, directement ou indirectement, une valeur économique pour l’entreprise, et pour la protection desquelles leur détenteur légitime a mis en œuvre des mesures substantielles conformes aux lois et usages, en vue de les tenir secrètes ». Autrement dit, tout et n’importe quoi puisque a priori, toutes les informations mêmes les plus vagues peuvent avoir une valeur économique pour une entreprise.

Or, le souci d’un texte aussi vaste et aussi vague n’est pas dans ses intentions, évidemment bonnes et taillés dans l’honnêteté et la franchise dont nos élus ont, régulièrement, montré l’étendue, et dont on pourra ensuite paver méticuleusement un enfer de surveillances électroniques intrusives.

Non. Le souci est bien dans le fait qu’à partir d’une telle loi, il sera aisé de poursuivre n’importe qui ayant eu l’impudence de faire un peu de reverse-engineering sur un logiciel, un matériel ou un procédé quelconque ou de transformer, quasiment à la demande, des informations publiques en informations sensibles ou économiques ; mieux, le droit constitutionnel d’accéder aux informations détenues par l’état pourrait être rapidement remis en cause.

censorship : the worst part of it is (censored)

En réalité, le champ est si étendu, la loi si vague et, comme d’habitude, rédigée de façon si claire par des experts si pointus de la chose que la liste des débordements possibles est affolante. Dressée par CNISmag, elle fait un tantinet froid dans le dos :

« Microsoft envisage de développer une nouvelle version de Windows » : 3 ans de prison. « Adobe lancera un nouveau logiciel possédant presque autant de trous de sécurité que de lignes de code » : les galères et 375 000 Euros d’amende. « Wikileaks nous apprend tout sur les ventes d’armes d’une grande entreprise nationale et un pays du Moyen Orient » : le peloton pour les supporters d’Assange. « Un employé de la HSBC vole des données financières confidentielle en Suisse et les remet à la justice Française » : le bagne pour le Garde des Sceaux.

Hum, oui, effectivement, il y a aussi du bon dans cette loi.

Mais bon, mis à part l’hypothèse invraisemblable dans laquelle le Ministre de la Justice se retrouverait derrière les barreaux pour avoir récupéré des données fiscales secrètes, force est de constater qu’une telle loi modifierait quelque peu la texture des journaux (informatiques ou autres, du reste) : l’information sera, bel et bien, parfaitement contrôlée.

L’étanchéité parfaite de l’information est possible, les amis ! Enfin, le rêve humide de tous les dictateurs est à portée de la main ! Il ne faut plus que quelques lois, toutes fondées sur la nécessité de protéger les Gentils et de lutter contre les Méchants, pour parvenir à l’idéal où aucune personne ne tombera par erreur, par négligence ou par malfaisance sur une information qui risquerait de lui apprendre quelque chose !

Subrepticement, l’Education Nationale s’était déjà employée, ces dernières années, à accomplir cet objectif avec une réussite notable. Mais il faut aller plus loin !

L’étape suivante consistera à surveiller tout le monde pour vérifier que chacun fait très correctement ce qu’il doit faire, et seulement ça.

cctv bucoliques

Enfin, on pourra imaginer une bordée de nouvelles lois bien conçues pour favoriser la délation citoyenne, et une autre pour protéger les nécessaires délateurs au sens civique affûté.

Bon. Cependant, ne nous crispons pas trop.

Il ne faudrait pas que, dans notre enthousiasme, on bloque complètement l’accès des informations sensibles et économiques, comme, par exemple, les données fiscales des entreprises, à ces lobbies qui rapportent de l’argent à l’État et à ses élus. Pour être parfaitement clair, ce genre de lois doit vraiment laisser la possibilité aux sociétés de succion des droits d’auteurs de continuer leur activité néfaste : c’est ainsi qu’on apprend, de plus en plus atterré, que le gouvernement (du même groupe parlementaire que nos frétillants experts en censure tous azimuts de l’assemblée nationale) sauve l’accès de la SACEM aux fichiers du fisc.

Autrement dit, d’un côté, la majorité parlementaire nous prépare un texte interdisant purement et simplement la moindre fuite d’information, et de l’autre, la même majorité, au gouvernement, nous fait des pieds et des mains pour que le pillage et l’espionnage fiscal continue de la part de société dont tous montre à présent la parfaite collusion avec le pouvoir en place (sans même évoquer la façon scandaleuse dont l’argent collecté est très généreusement redistribué aux patrons de ces sociétés lucratives sans but).

Eh oui : un monde meilleur est possible. Nos amis de l’UMP s’emploient à nous en approcher tous les jours. Pour les citoyens heureux de ces nouvelles mesures, votez.

Pour les autres, fuyez. Il est encore temps.


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