Anne-Marie Soulier, poète et traductrice (anglais et surtout norvégien) a proposé à Poezibao cet ensemble de traductions consacrées à deux poètes sud-africains peu connus en France et qu’elle a réalisées pour la Revue Alsacienne de Littérature. Occasion pour Poezibao de saluer cette revue et son travail de fond en faveur de la littérature non seulement alsacienne mais aussi étrangère.
La mort de Papy
le temps plus mince que la peau de glace du barrage
le sol noir de gel étendu sur notre cour fragile
frise anthracite du réservoir de diesel et du générateur
billot à fendre le bois, sacs vides
rien pour remuer l’odeur du fumier ou du créosote
et la faible puanteur des latrines parvient à travers les chênes
nous nous taisons, debout comme chevaux qui dorment
stupéfaits
devant notre deuil
Rosamund Stanford, extrait de The Peeling of Skies, traduction : Anne-Marie Soulier), version originale du poème dans la suite de note.
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tiens, reprends le permis
Alors oui, je suis contente, contente de te la rendre,
cette voiture de nos accidents, cette berline disgraciée,
cette carapace de mes peurs, ce coin à moi pour pleurer,
prends-là donc, comment as-tu pu me l’envier,
je l’ai payée en gardant le cap,
en allant bien tout droit le long de cette rue-ci puis d’une autre
puis d’une autre
je l’ai payée en restant sur la route
jusqu’à ce que la peur m’empêche de fermer les yeux,
la peur de les rouvrir et de ne plus reconnaître les maisons,
les panneaux, les trottoirs,
la peur qu’en les fermant une seule fois
je ne reconnaîtrais plus mes amis ni les arbres mutilés par les fils de fer,
alors je n’ai plus cillé,
j’ai gardé les yeux grands ouverts.
Répare la voiture s’il te plaît,
répare-la bien comme il faut, ôtes-en les chocs et tout ce qui ne tient plus,
enlève aussi les vendeurs voyous,
gratte cet horrible rouge foncé,
fais-la briller de nouveau comme un miroir au soleil, refais-la immatriculer,
retrouve la clef perdue, je suis désolée qu’elle ait disparu, j’ai cherché partout
mais je regardais droit devant moi, je n’ai pas pu voir où elle tombait,
le réservoir est grand, le tout peut encore tenir un bon bout de chemin,
il faudrait peut-être mettre des pare-chocs plus solides,
je crois que je les ai complètement usés
mais les pneus sont bons, des Firestone, et la roue de secours une Goodyear
je crois quand même qu’il y a un trou dans le pot d’échappement,
désolée de te la rendre comme ça, c’est arrivé au retour
en venant te la rapporter.
Rosamund Stanford, traduction Anne-Marie Soulier), Revue Alsacienne de Littérature, n° 111, septembre 2010)
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la lettre
Voyant que son mariage l’érode chaque jour un peu plus,
il s’en va – une fois n’est pas coutume – dans le crépuscule,
s’arrête un beau matin dans un bourg de campagne.
Voilà que je cherchais, se dit-il dans l’hôtel en bord de route,
regardant, par-delà les couples, les gracieux acacias,
et la radio est allumée chaque matin au petit déjeuner.
La lettre est arrivée, noire de coups de tampons : Chère Mary,
Je ne voulais pas te faire mal, j’aurais eu trop à dire.
Si je voyais en toi un navire sur un océan de lumière,
tu serais le corps que je voudrais faire voguer.
Mais j’ai mon lourd passé et mon complet-veston,
Et le monde est plus noir que je n’avais prévu, bises, John.
Cher John, répondit-elle – Cher John, cher John,
je t’ai porté dans mon courant. J’ai enduré ton dur regard.
Je t’ai senti tout autour de moi, par chaque cellule.
Qui a téléphoné quand la colline avait pris feu ?
Qui tremblait de peur quand les chauves-souris ont envahi la ferme ?
Pas une épingle, pas un filament, pas même un fil n’a pu te retenir.
Reste où tu es jusqu’à ce que tu aies compris ce que tu veux,
Bien à toi, Mary.
Robert Berold, traduction Anne-Marie Soulier , Revue Alsacienne de Littérature n° 111, septembre 2010
versions originales des poèmes en cliquant sur « lire la suite de...)
bio-bibliographies de Rosamund Stanford et Robert Berold
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Une de Poezibao
Index de Poezibao
Pa's Passing
the time thinner than the dam starting its ice skin
the soil dark-frozen over our brittle yard
charcoal frieze of diesel tank and generator,
chopping block and emptied sacks
nothing stirs the smell of manure or creosote
and the longdrop reeks just faintly through the oaks
we stand still, like sleeping horses
in awe
before our mourning
Rosamund Stanford, extrait de The Peeling of Skies
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here’s the licence
So yes, i’m content, content to hand it back,
this car of our crashes, this disgraced saloon
this carapace of my fears, this private weeping place
take it all, why did you ever envy me it,
i paid for it by staying on the rails,
by steering straight ahead, down this street then another street
then another
i paid for it by keeping on track
until i couldn’t close my eyes for fear,
for fear that when i opened them i wouldn’t recognise the houses,
the street signs, the pavements,
for fear that if i shut my eyes just once
i wouldn’t know my friends the wire-maimed trees
so i never blinked again,
my eyes stayed starkly open.
fix the car will you
fix it nicely, take all the crashes and unfixed things away
and the crooked dealers too,
scrape away that horrible darkened red,
make it shine again, like a mirror in the sun, reregister it,
and find the missing key, i’m sorry it disappeared, i searched and searched
but i was looking straight ahead, so wouldn’t have noticed where it fell
the tank is big and it still holds the road nicely,
maybe it could do with some better shock absorbers though,
i think i used them up
but the tyres are good, firestones and the spare a goodyear
i think though, there may be a perforation somewhere in the exhaust,
sorry to give it back with that, it happened on my way back
delivering it to you.
Rosamund Stanford
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the letter
Finding each day that he’s eroded in his marriage
he sets off uncharacteristically into the sunset,
getting off one morning in a small country town.
This is it, he thinks, at the roadside hotel
as he looks past the couples at the graceful acacias,
radio playing each morning at breakfast.
The letter arrived black with postmarks, dear Mary,
I didn’t mean to hurt you, I had too much to say.
If I saw you as a ship on an ocean of sunlight
then you were the body that I wanted to sail.
So here I am with a dark past, in a suit,
and the world is darker than I ever imagined, love John.
Dear John, she wrote back – Dear John, dear John,
I’ve borne you in my current. I’ve stood inside your straight look.
I’ve felt you all around me, each cell.
Who was it who phoned when the hill was on fire?
Who shook with fear when bats entered the farmhouse?
Not a pin, not a filament, not even a thread could hold you.
Stay there until you heed your warnings,
I remain, yours Mary.
Robert Berold