Un Guest Post signé Patrick de Casanove, secrétaire général du cercle Frédéric Bastiat, présidé par Jacques de Guénin. M. de Casanove réagit aux contresens majeurs du journal "Le Monde" concernant Frédéric Bastiat.
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Frédéric Bastiat, l’économiste qui aimait l’Homme
Dans un article paru dans le Monde du 5 Janvier 2011 (voir) intitulé "Bastiat, le Français inconnu référence des ultraconservateurs américains", figure une présentation de Frédéric Bastiat. Certes, on pourrait se réjouir de ce que le quotidien consacre un article à un économiste et penseur trop rarement évoqué dans son pays natal. Malheureusement, l'article recèle quelques erreurs qui donnent une idée fausse de ce qu'était la pensée de Bastiat.
Ce que n’est pas Frédéric Bastiat
Tout d'abord, l’on ne peut qualifier d'inconnu un auteur enseigné dans de nombreuses facultés d'économie de haut niveau hors de France, et qui a inspiré, outre les grands économistes de l'école autrichienne dont Hayek, plusieurs autres prix Nobel comme Frieedman et Stigler, et dont la pensée inspira ouvertement la philosophie d'un président des Etats-Unis, Ronald Reagan.
L’on ne peut également pas affirmer qu'il est la référence des "ultraconservateurs", qui, au parti Républicain, désignent plutôt le courant moraliste incarné par le président G.W.Bush, et inspiré par Léo Strauss, un penseur conservateur transfuge de la gauche dure, et qui ne goûtait guère la liberté sans concession prônée par Bastiat.
Mais la principale "erreur" de l'article est ailleurs. Il y est en effet écrit que "Dans (…) "La Loi", Bastiat brosse son autoportrait en ces termes: "je suis un homme sans cœur et sans entrailles, un philosophe sec, un individualiste, un bourgeois, et, pour tout dire en un mot, un économiste de l'école anglaise ou américaine". Cette citation tronquée et citée hors contexte donne une représentation péjorative totalement erronée de la personnalité et de la pensée de Frédéric Bastiat.
Autoportrait ?
La citation exacte est extraite de "L'Etat" et non de "La loi". Le contexte est le suivant : Frédéric Bastiat liste de manière non exhaustive les demandes faites à l’Etat pour "guérir tous les maux de la triste humanité". But louable certes, mais Bastiat souligne que l’Etat ne crée pas de richesses, il ne fait que les déplacer. Il ne peut que distribuer à ses mandants des richesses crées par d’autres, d’où sa propension au clientélisme.
Se référant à ces fameuses demandes à l'Etat, Bastiat écrit : "J’ai voulu faire observer qu’elles étaient contradictoires. De quoi me suis-je avisé, bon Dieu! Ne pouvais-je garder pour moi cette malencontreuse remarque? Me voilà discrédité à tout jamais; et il est maintenant reçu que je suis un homme sans cœur et sans entrailles, un philosophe sec, un individualiste, un bourgeois, et, pour tout dire en un mot, un économiste de l'école anglaise ou américaine."
Bastiat ne livre donc pas ici son autoportrait mais expose les critiques que lui adressent ses adversaires ! Erreur du journal, ou volonté délibérée de dénigrement d'un grand penseur libéral ? A chacun de juger.
Bastiat, l’économiste humaniste
Par ailleurs, loin d'être sèche et sans cœur, toute l’œuvre de Bastiat est pétrie d’un profond humanisme et d’un grand amour pour ses semblables. Jugeons-en :
"Personnalité, Liberté, Propriété, — voilà l'homme" (La Loi). A partir de là aucun individu, ni groupe d’individus, n’a le droit d’agresser quelqu’un en portant atteinte à sa personne, à sa liberté ou à sa propriété.
Qu’est ce que la Liberté ? Bastiat la définit ainsi: "La propriété, le droit de jouir du fruit de son travail, le droit de travailler, de se développer, d’exercer ses facultés, comme on l’entend, sans que l’Etat intervienne autrement que par son action protectrice, c’est la liberté" (Propriété et loi). Les "transactions libres sont harmoniques, c'est-à-dire si elles tendent à améliorer et à égaliser les conditions, nos efforts doivent se borner à laisser agir la nature et à maintenir les droits de la liberté humaine" (Harmonies économiques). Malheureusement l’Etat, lorsqu'il prétend interférer avec ces échanges, tend à détruire cette harmonie.
Pour Bastiat, l'état doit être, et être seulement, le garant de la justice : "La Loi, c'est l'organisation du Droit naturel de légitime défense (...), pour garantir les Personnes, les Libertés, les Propriétés, pour maintenir chacun dans son Droit, pour faire régner entre tous la Justice."(La Loi). Pour que Justice soit rendue, l’Etat doit être concentré sur ses fonctions régaliennes. : "Il faut que le gouvernement soit fort contre les ennemis du dedans et du dehors, car sa mission est de maintenir la paix intérieure et extérieure. Mais il faut qu'il abandonne à l'activité privée tout ce qui est de son domaine. L'ordre et la liberté sont à ce prix." (Profession de foi électorale).
"L’absence de spoliation, — c'est le principe de justice, de paix, d'ordre, de stabilité, de conciliation, de bon sens que je proclamerai de toute la force, hélas! bien insuffisante, de mes poumons, jusqu'à mon dernier souffle."(La Loi).
Une philosophie qui embrasse une société sans vol, violence ou contrainte n'est pas sèche ou égoïste ! Elle est bel et bien née de la pensée d'un homme au cœur profondément humain et généreux, Frédéric Bastiat.
© Patrick de Casanove - Secrétaire Général du Cercle Frédéric Bastiat, www.bastiat.net – Janvier 2011
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Note de V.B. - A noter qu'une version plus "lisse" -rédigée sobrement comme une simple rectification, où était évitée toute remarque susceptible de froisser la susceptibilité du journaliste et de sa rédaction- a été refusée par la rédaction du "Monde" malgré plusieurs tentatives, y compris en tant que simple erratum. A chacun de juger comment cette publication respecte la vérité et ses lecteurs.
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