Voici la version traduite de mon bref exposé sur Machiavel dans le cadre du cours d’italien.
Introduction
Dans le langage courant, le mot «machiavélique» est souvent employé pour critiquer des manières de se comporter, les jugeant amorales ou immorales. Le machiavélisme est considéré comme l’art de conquérir et conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris la ruse et le mensonge.
La renommée de Machiavel est ainsi associée au cynisme en politique. Mais cette renommée est-elle vraiment juste ? N’est-elle pas due à une méconnaissance de l’œuvre de Machiavel ? D’une part, cette lecture réduit l’œuvre de Machiavel au Prince (1513) alors que ce n’est ni son seul livre, ni peut-être le plus important. D’autre part, il faut replacer dans le contexte intellectuel et historique les écrits de Machiavel et se demander à chaque fois à qui ils sont respectivement destinés. Dans mon exposé, je voudrais vous présenter les différents visages de Machiavel en suivant les chapitres du livre de Quentin Skinner sur Machiavel (Quentin Skinner, Machiavel, trad. Michel Plon, Paris, Seuil, 2001).I – Le diplomate
Nicolas Machiavel naît à Florence le 3 mai 1469. Son père, Bernard Machiavel, est un passionné de l’étude des humanités et fait partie d’importants cercles intellectuels humanistes de l’époque. Ainsi, Nicolas Machiavel est éduqué dans un univers baigné par les grands textes classiques dont son père dispose (par exemple, notons dans la bibliothèque de son père l’Histoire de Tite-Live, c’est-à-dire l’œuvre de référence sur laquelle Machiavel s’appuiera plus tard pour écrire les Discours sur la première décade de Tite-Live) et les maîtres humanistes avec qui son père est ami. Ceci explique sans doute la nomination de Machiavel en 1498 au poste de second chancelier de la République de Florence car à la Renaissance italienne, les postes de plus haute responsabilité sont assignés à ceux qui ont appris les grandes valeurs humanistes. Les grandes valeurs humanistes, ce sont : la recherche du bien commun, la lutte contre la corruption et la tyrannie, la défense de sa patrie.
Ce poste de second chancelier consiste en deux types de tâches : la responsabilité de la correspondance administrative des territoires contrôlés par Florence et l’écriture de rapports relatifs aux Affaires étrangères. Ce poste diplomatique qu’occupe Machiavel lui permet d’observer de près les choses de la vie active des gouvernements politiques. De cette observation des hommes politiques, la leçon que Machiavel en tire est que les hommes échouent lorsqu’ils sont incapables de s’adapter aux dérèglements de l’ordre des choses. Et de cette leçon, on peut voir se dessiner la définition de la vertu, un concept majeur de la pensée de Machiavel : pour lui, la vertu est la qualité de savoir se confronter à la Fortune et de s’y associer. En 1512, la République florentine échoue face aux espagnols et les Médicis reprennent le pouvoir sur Florence. Par conséquent, Machiavel perd son poste de la Chancellerie. Puis, en février 1513, suite à une accusation selon laquelle Machiavel aurait participé à une conspiration manquée contre le nouveau gouvernement des Médicis, Machiavel est condamné à l’exil et à la prison.
II – Le conseiller des princes
Mais quand Giovanni des Médicis est élu Pape, le gouvernement amnistie Machiavel. Mais il n’a pas pour autant l’autorisation de retourner à Florence, il part alors s’isoler dans sa ferme de Saint Andrée en Percussine (elle se situe dans le sud de la province de Florence). C’est dans ces conditions de retrait propices à la méditation qu’il écrit Le prince. Dans Le Prince, Machiavel choisit de traiter principalement des principautés entièrement nouvelles qui sont conquises avec les armes d’autrui par fortune et il écrit que pour ce type de domination, il est nécessaire de recourir au conseil d’un expert pour conserver l’établissement. Or, ce type de domination, c’est celui des Médicis qui ont conquis Florence avec l’aide de Ferdinand d’Espagne et de la Fortune. Et Machiavel, au début du Prince, dans la dédicace à Laurent de Médicis, met en avant ses qualités d’expert. Le Prince est donc écrit dans un contexte d’exil durant lequel Machiavel voulait attirer l’attention des Médicis sur lui pour retourner à Florence. En outre, il convient de se rappeler que le genre de traité écrit à l’attention des principes nouveaux est un genre assez développé par les écrivains de la Renaissance comme Bartolomeo Sacchi, Giovanni Pontano ou Francesco Patrizi qui considérent déjà que la vertu était la clé du succès du prince nouveau.
Mais il y a une grande différence de la part de Machiavel par rapport aux humanistes civiques. Pour ces derniers, la vertu consiste dans les quatre vertus cardinales définies par les écrivains anciens, à savoir la prudence, la justice, la force et la tempérance alors que Machiavel explique pour conserver l’établissement, un prince ne doit pas toujours se conformer aux règles morales. L’originalité de Machiavel est de repenser le concept de vertu : la vertu consiste dans la détermination d’un prince à réaliser ce que la nécessité lui impose. L’action d’un prince ne doit pas être toujours bonne, il lui suffit qu’elle semble bonne, l’important est qu’elle soit efficace pour conserver l’établissement, car conserver l’établissement est le devoir le plus important pour un prince.
III – Le philosophe de la liberté
Mais les efforts de Machiavel pour retourner aux affaires de Florence se révèlent vains et il oublie ses ambitions de carrière diplomatique au profit de son visage de lettré. Dès lors, Machiavel fait partie d’un groupe humaniste qui se réunit dans les jardins de Cosimo Rucellai. D’une part, il y avaient des discussions très littéraires et d’autre part, des discussions politiques animées par les idéaux républicains. Machiavel publie L’art de la guerre en 1521 mais le plus important livre issu de ces discussions républicaines est les Discours sur la première décade de Tite-Live. Dans Le prince, Machiavel s’est occupé seulement de l’art de gouverner dans les principautés alors que dans les Discours, Machiavel s’occupe principalement de l’art de gouverner dans les républiques. Néanmoins, il y a un point commun à ces deux livres : Machiavel s’intéresse à la manière dont une Cité parvient à la grandeur. Plus précisément, dans les Discours il s’intéresse à la grandeur de la Rome républicaine de l’Histoire de Tite-Live. La clé de sa grandeur vient de sa liberté et de la vertu de son peuple. Le peuple romain était un peuple qui était passionné par le bien commun et par la gloire de la patrie.
Mais comment cette vertu a-t-elle pu se maintenir dans le peuple romain ? Qu’est-ce qu’il manque au peuple moderne par rapport au peuple antique pour être vertueux ? Machiavelli tourne son regard vers l’organisation institutionnelle de la Cité. Avant tout, la Rome antique avait compris l’importance des institutions religieuses. La crainte de Dieu est nécessaire pour que les hommes se dévouent à la cause du bien commun. La religion antique fait l’éloge de la vie active alors que la religion moderne du christianisme vante les mérites de la vie contemplative. Toutefois, il y a un autre moyen pour favoriser la vertu : l’institution des bonnes lois. Les bonnes lois sont celles qui savent bien organiser les tumultes entre les grands et le peuple. L’originalité de la thèse de Machiavel est que l’harmonie, c’est-à-dire l’élimination des passions, est impossible et en outre, la liberté vient de la désunion entre les humeurs des grands et celles du peuple. La santé politique d’une Cité ne se mesure pas à l’absence de tumultes, mais au contraire à la force des tumultes. Encore ici, Machiavel se distingue des philosophes de l’humanisme civique de la Renaissance.
IV – L’historien de Florence
En 1520, les Médicis attribuent à Machiavel la charge d’écrire une histoire de Florence. Les importants humanistes civiques comme Léonardo Bruni, Coluccio Salutati ou encore Poggio Bracciolini ont écrit aussi des histoires de Florence. Selon ces humanistes, le rôle de l’historien est de présenter les grands exemples de vertu dans le but de faire naître des ambitions aussi grandes parmi leurs contemporains. Mais les Histoires florentines de Machiavel marquent leur différence en parlant du déclin de Florence. Machiavel veut mettre en lumière comment la corruption a entraîné Florence vers sa chute. Machiavel critique les lois décrétées pour favoriser des intérêts privés et non le bien commun. Le problème de Florence n’est pas la désunion entre les grands et le peuple mais que les grands et le peuple se sont constitués en factions. Florence oscille entre la tyrannie et la licence.
Conclusion
Pour conclure, qui est Machiavel ? Je pense que Machiavel n’est ni l’apôtre du mal comme soutient par exemple Leo Strauss dans ses Pensées sur Machiavel ni un humaniste civique comme ceux du Quattrocento. En réalité, je crois que la philosophie politique de Machiavel est porteuse d’un républicanisme réaliste car repensé en fonction des exigences de la modernité.