Par CHARLOTTE ROTMAN - http://www.liberation.fr/ Famille. Emmanuelle B., adoptante lesbienne, s’est vu refuser ce droit pendant dix ans.
Ils se tombent dans les bras, se félicitent. «Enfin», dit l’un, «formidable, hein ?» s’exclame une autre. Un troisième : «Dix ans, quand même.»Hier, à Strasbourg, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour avoir refusé d’accorder un agrément en vue d’adoption à Emmanuelle B., une candidate homosexuelle. Dans le local du Centre gay et lesbien, à Paris, ils sont plusieurs à savourer ce moment. L’avocate d’Emmanuelle, les responsables de l’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL), et parmi eux Philippe Fretté, dont la requête similaire avait, elle, été rejetée en 2002 (à cause de son «choix de vie»). Certains n’y croyaient pas. «C’est une victoire de l’égalité sur la peur, le préjugé et l’ignorance», affirme Caroline Mécary, conseil d’Emmanuelle. C’est l’aboutissement d’un de leurs combats communs, de ceux qui font bouger les mentalités.
Placard. L’arrêt, rendu en grande chambre, aura des conséquences importantes : «La France ne peut plus refuser un agrément à une personne célibataire en raison de son homosexualité», explique Me Mécary. Dit autrement, un homosexuel en procédure d’adoption en tant que célibataire n’aura plus à se torturer pour savoir s’il doit cacher son partenaire dans un placard. «Pour l’APGL, cela fait aussi une carte de visite, cela donne du punch et de la crédibilité à nos revendications», a souligné Eric Garnier, président de l’association. Pas inutile au moment où se négocie un statut du tiers (beau-parent ou coparent homo).
Il y a dix ans, Emmanuelle B., enseignante dans le Jura, fait une demande d’agrément. Lors de l’enquête sociale, cette femme de 38 ans ne dissimule pas son homosexualité ni sa relation stable avec sa compagne, avec qui elle vit depuis 1990. Sa demande est rejetée. Cette fin de non-recevoir est confirmée par le président du conseil général du Jura en 1999. On lui reproche le défaut de «repères identificatoires» (comprendre l’absence de figure paternelle), mais aussi paradoxalement - «l’ambiguïté de l’investissement» de sa compagne dans le projet d’adoption. De recours en recours, ce refus a été entériné au plus haut niveau par le Conseil d’Etat, en juin 2002.
«Atteinte». Hier, 10 juges (contre 7, dont le juge français) de la Cour européenne des droits de l’homme ont jugé qu’Emmanuelle a fait l’objet d’une «différence de traitement» qui «constitue une discrimination au regard de la Convention», puisqu’elle se rapporte à son orientation sexuelle. Selon eux, l’administration française a porté«atteinte au droit de mener une vie privée et familiale». Depuis le précédent de 2002, le contexte européen a changé. Neuf pays acceptent désormais l’adoption - conjointe ou par le partenaire de même sexe - (dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suède, l’Espagne…). Cet argument qui n’avait pas été abordé par les défenseurs de Philippe Fretté a été, cette fois, mis en avant. «Nous avons présenté l’état des études scientifiques et comparé les différentes législations nationales, explique Robert Wintemute, professeur de droit au King’s College de Londres et conseiller à Strasbourg dans les deux affaires. La France reste très en retard.»