Les cinémas participants n'ont pas tous réussi à obtenir les copies qu'ils souhaitaient programmer. Le Rex de Chatenay-Malabry (92) est parvenu à afficher 7 longs métrages, dont le magnifique film du réalisateur argentin Juan José Campanella Dans ses yeux.
Pierre Murat, rédacteur en chef de la rubrique cinéma de Télérama, était parmi nous pour nous aider à décrypter le film et répondre à nos interrogations. Ce temps d'échange fut aussi important que le visionnage en lui-même, d'autant qu'il a parlé sans esquiver aucune question. C'est lui qui a rédigé le synopsis du film pour le magazine :
Dans l'Argentine de 1974, un flic qui ne croit plus à grand-chose, et surtout pas en lui, découvre le cadavre violé, meurtri, d'une jeune femme récemment mariée. Il se jure de découvrir le coupable. Mais il échoue. Vingt-cinq ans plus tard un livre qu'il a décidé d'écrire le met aux prises avec le souvenir de ses erreurs passées et, surtout, de ses amours inabouties avec celle qui fut son "supérieur" hiérarchique et qui ne l'a pas oublié. Un polar, donc, où, sur fond de vengeance implacable, le réalisateur retrouve le lyrisme des grands mélos de jadis.Le scénario est adapté de "La Pregunta de sus ojos", un roman d’Eduardo Sacheri, un écrivain qui a travaillé pendant longtemps dans le domaine judiciaire. Le cinéaste a déconstruit le roman en se posant toujours la même question: cet homme qui marche vers nous, que sait-on de lui? Qu'apprendrait-on de lui si on avait tout à coup un gros plan sur ses yeux? Quels secrets nous raconteraient-ils ?
L’auteur n’hésite pas à faire de la technique sans perdre pour autant la réalité des sentiments, rappelant Ettore Scola à ses débuts. Le meurtre est filmé comme une scène fantastique. Le long plan séquence du stade qui s’achève avec l’écrasement de la joue sur la pelouse a nécessité trois jours de tournage, et quelques neuf mois de montage. Ce n’est donc pas un plan séquence, mais on le jurerait.
Les trompe-l’œil et les fausses pistes se succèdent. Les indices aussi. Par exemple les photos retournées pour que ceux qui viennent assassiner le policier ne se rendent pas compte qu’ils se trompent de cible. Le déchiffrage du message d’amour ne sera possible qu’avec la prise de conscience d’une lettre manquante sur la vieille machine à écrire. Plusieurs histoires s’imbriquent. Nous assistons à deux films en parallèle, l’enquête policière et la comédie sentimentale. Il y a d’ailleurs une influence revendiquée de la comédie à l’italienne (la scène du chien et les dialogues entre le procureur et le policier sont carrément burlesques. Le procureur a une façon de scander le nom ES-PO-SI ….TO avec un effet comique évident.)
On passe malgré tout abruptement du rire à l’effroi et on se demande toujours si on a bien compris ce que le réalisateur a voulu nous montrer. C’est que précisément il ne délivre pas de message évident. Les paroles peuvent contredire ce que trahissent les yeux des personnages. Et la caméra, très souvent, est placée de telle manière qu’elle se trouve à la place de notre propre regard, nous faisant douter de notre perception.
Le non dit est aussi important que ce qui est clairement dialogué. Le titre original, El secreto de sus ojos, est plus ambigu encore que le titre français car on pourrait aussi bien le traduire par le secret de ses yeux que par le secret de leurs yeux, puisque c’est la même expression en espagnol. La question se pose ensuite de savoir quels yeux on désigne, ceux du policier, de la juge, de tous les protagonistes, ou même ceux de la jeune morte (que le policier ferme à son arrivée dans la chambre).
Les rôles secondaires sont soignés. En particulier celui du copain du héros, alcoolique, qui devient attachant en trois minutes. Le mari de la victime, devenu bourreau, est un bref instant un coupable potentiel. C’est du moins la vision que peut en avoir le personnage du policier, parce que nous, spectateurs, connaissons la vérité. Un très beau film à voir, et revoir … puisqu’il est sorti en vidéo depuis septembre dernier.
Le film a été récompensé en 2010 par l’Oscar du Meilleur Film Étranger, battant le film français le Prophète cette année-là. Il a aussi obtenu le Goya du meilleur film hispano-américain et l'actrice principale, Soledad Villamil le Goya du Meilleur Espoir Féminin.