(De Nili, en Afghanistan) En Europe, on va faire les courses une fois par semaine. Ici, au coeur de l'Afghanistan, l’homme va au marché pour la famille une fois par jour, pour préparer le repas du lendemain. Les produits de première nécessité comme l’huile, le pain, le sel, les protéines animales et végétales, les légumes, le lait ne leur sont pas accessibles monétairement.
Les étals ne sont pas vides, mais ils n’ont que les récoltes de blé ou d’amandes -de plus en plus maigres- comme monnaie d’échange. Cependant, ne croyez pas qu’ils meurent de faim pour autant!
Chaque famille se débrouille: elles ont toujours fait face dans le froid de l’hiver. Pendant la période de "soudure" -où les familles vivent sur leur stocks alimentaires-, on utilise ainsi le pain séché de la veille pour la soupe (la "chorba") du soir.
De l’huile, de l’eau, du pain, du thé pour le repas du soir. Du thé et du pain seulement pour les deux autres repas. Ces hommes et femmes endurcis par les longues marches rapides à 2 500 mètres d'altitude s'en contentent.
Les montagnes dénudées fournissent un maigre pâturage pour les animaux, et, pour l'hiver, un fourrage riche en minéraux -la race de moutons qu'ils élèvent sont parmi les plus appréciées en Afghanistan.
La terre glisse et le gouffre économique se creuse
En Hazarajat, toutes les familles des montagnes (qu'elles vivent en hauteur, à mi-hauteur ou en bas dans la vallée) survivent grâce au secteur primaire: l’élevage de moutons, la culture du blé et de l’amande.
Quand la fonte des neiges arrive, c’est l’inondation et le dégel redoutés, un torrent de boue dévaste les parcelles cultivées des six derniers mois. C’est la galère qui commence. Il a fallu douze mois pour attendre que les semences produisent, et que les familles aient assez de pain pour les douze prochains mois.
Les populations connaissent leur région, et n'exposent pas leurs maisons aux inondations. Mais leur intensité reste imprévisible. Certaines années, des habitations s’écroulent. Et la terre, elle, glisse toujours, emmenant avec elle la seule richesse, et laissant la pauvreté s’installer, le gouffre économique se creuser encore.
La faim s’installe. Peu de journalistes viennent dans ces régions oubliées et inaccessibles pour témoigner, les humanitaires sont aussi un relais d’information. Ne croyez pas que je suis là uniquement pour écrire dans un blog ou pour m’exposer à l’insécurité, pour un défi personnel et inconscient. J’y suis car j'ai accepté d’y être -en toute connaissance de cause- pour former des jeunes de cette région qui à leur tour aideront leur population.
Pas d’eau, peu de ressources: le cercle vicieux de la faim
Depuis 1999, cette région subit une sécheresse d’une très sévère intensité. En 1991, 80% des fermiers étaient propriétaires de bêtes, globalement ovins et bovins. Hors sécheresse, les précipitations oscillent entre 200 et 400 mm par an. -au Sahel, le cumul de précipitations s’élève à environ 200 mm par an, ce qui vous donne une idée du climat qui règne ici.
En 1995, une famille hazara possédait en moyenne un troupeau de 22 têtes ovines. En 2003, le troupeau moyen s’est réduit à 3 têtes. Le reste est mort à cause de la sécheresse.
Evidemment, ce n’est pas au journal de 20 heures que nos yeux vont s’étonner d’images d’enfants hazaras malnutris, qui saignent des gencives quand ils mangent une pomme, d’images de femmes et d’hommes avec les symptômes d’une glande thyroïdienne ne produisant pas assez d’hormone pour réguler la croissance et le développement du corps humain et du cerveau.
Se promener avec un goitre dans les champs depuis le plus jeune age parce que la nourriture ne fournit pas assez d’iode, personne ne le souhaite ni ne le mérite. Cette population n’a pas choisi d’être regroupée ici, elle y a été contrainte.
Les populations hazaras ont soif d'apprendre, de rattraper le retard
Et au milieu de ce pays en conflit, c’est une population qui pâtit du manque d’accessibilité monétaire, de disponibilité alimentaire, d’intrants [l'ensemble des produits nécessaires aux cultures, ndlr], de productions à exporter, d’échanges commerciaux avec les autres provinces.
L’Hazarajat est riche de beaucoup de choses, mais pauvre en quantités produites et en moyens. Il faut donc être ici, oui, il faut aider cette population qui manque de connaissances sur des maladies réduisant leur espérance de vie, promouvoir l’hygiène, former les hommes à améliorer leurs techniques, donner de notre savoir aux populations hazaras qui ont soif d’apprendre, soif de s’instruire pour rattraper les années d’études perdues depuis vingt ans de conflit. Ces familles redistribuent, partagent, triment ensemble.
Certains diront, comme dans des commentaires passés sur ce Rue89: pourquoi aller là-bas alors que les banlieues d’Europe brûlent? D’autres diront que si l’on veut voir des montagnes, il y en a dans les Pyrénées, les Vosges, le Jura ou les Alpes. Chacun est maître de sa pensée. Et chacun son métier.
Pour ma part, j’investis mon expérience pour des familles opprimées, oppressées, discriminées par des années d’interdit, et affligées de désastres climatiques. Aujourd’hui, j’investis mon expérience pour des populations poussées et regroupées encore plus au centre de leur région, vers ces montagnes pelées, arides, et qui habitent -comme d’autres ailleurs- à quinze personnes dans la même maison. L’homme doit s accomplir, posséder son espace de vie, garder sa dignité, vivre décemment.
Alors, avant d’aller plus loin, je voudrais dire à ceux qui lisent ce blog et aux Hazaras, co-acteurs de ce blog, qu’il est évident que ma connaissance de ce pays central est très mince, je ne suis là que depuis six mois en Hazarajat.
Beaucoup de personnes que j'ai rencontrées dans la province du Day Kundi, où la mission d'ACF est installée, ont manifesté le désir de participer plus activement à ce blog. Donc, on s’est assis et on a discuté, pris du thé, et parlé. A vous Hazaras d’ailleurs, votre opinion, vos commentaires, rectifications, enrichissements nous permettront de d’en savoir plus encore.
â–ş Lire aussi: Les Hazaras, minorité opprimée, forcée de vivre en autarcie
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