Stupeur et tremblements ! Il semblerait, au dernier sondage effectué par une de ces magnifiques émanations bureaucratiques aux noms fleurant bon les seventies sous caution du CNRS, le CEVIPOF, que les Français seraient de plus en plus méfiants vis-à-vis de l’action politique. Une fois l’ahurissement retombé, on peut se poser une question : simple bouderie, ou réveil d’une longue torpeur ?
À la lecture du rapport, on découvre ainsi que le Français moyen n’a plus confiance dans les politiciens pour résoudre ses problèmes. On conviendra aisément que c’est paradoxal tant il aura pourtant applaudi des deux mains chacune des actions qui auront mené à la croissance rapide du Tout Politique dans ce pays.
Paradoxe aisément levé, du reste, lorsqu’on sait que le politicien assure sa pitance en transformant des promesses en or. L’or est pour lui, et les promesses sont pour ceux qui votent pour lui. Promesses qui incluent généralement un avenir si ce n’est radieux, tout du moins meilleur, et en particulier pour telle catégorie socio-professionnelle à laquelle, ça tombe bien, vous, mon brave électeur, vous appartenez justement, et glissez ce bulletin-ci dans cette urne-là, merci.
Manifestement, le temps des promesses court à sa fin : elles marchent encore à peu près lorsque le temps est beau, qu’il y a des perspectives d’emploi, que les grèves ne se multiplient pas, que les prix restent à peu près stables et que le voisin ne met pas sa sono trop fort. Dès lors que ces paramètres tombent les uns après les autres dans la catégorie des souvenirs sépias d’une enfance déjà lointaine, l’électeur se lasse, l’intérêt pour les promesses s’émousse, la confiance dans celui qui les émet s’évapore.
Les constats lisibles dans le rapport résument fort bien cet état des lieux :
- On y découvre que pas moins de 83 % des personnes sondées considèrent que « les responsables politiques, en général, se préoccupent peu ou pas du tout » des gens comme eux. Il est quelque part un tantinet inquiétant que 17% de sondés pensent le contraire ; dans le meilleur ou le moins hypocrite des cas, ces 17% sont composés des élus eux-mêmes qui, bien évidemment, se préoccupent tout de même pas mal d’eux-mêmes (rendons-leur ça : ils ont su s’assurer une durée de vie notable dans les fromages de la République). Dans le pire des cas, il s’agit des citoyens, aussi naïfs que festifs, qui croient encore tirer un quelconque avantage des politiciens. L’augmentation permanente et maintenant régulière des impôts, taxes et vexations fiscales diverses devrait rogner un peu le nombre de ces irréductibles utopistes.
- Autre stupéfaction : le discrédit s’étend jusqu’aux élus locaux, qui, pourtant, s’en tiraient mieux avant ; les Français ne sont plus que 52% à déclarer avoir confiance dans leurs élus locaux, contre 65% il y a un an. Je pense que l’écart doit être d’autant plus important qu’on est dans une grande ville : il semble évident qu’il est plus facile de connaître (et de ce fait, faire confiance à) son maire dans un village de 1000 âmes que dans une métropole de 250.000 … Là aussi, l’évidence que même le maire joue d’abord son propre intérêt s’ancre doucement dans le subconscient des Français pourtant aimablement préparé, pendant de longues années
d’endoctrinementd’EdNat, à adorer l’administration, la République et ses élus. - Pour la plupart des Français, la démocratie patine – rooh, non, sans blague ?! – puisque 57% des personnes interrogées estiment que la démocratie en France fonctionne « pas très bien » ou « pas bien du tout », et 44% estiment que voter n’est pas la meilleure façon d’influer sur les décisions prises par les dirigeants. On aura une petite larme émue pour les 56% autres pourcents qui continueront à croire, malgré les décennies de déceptions enfilées comme des perles sur un collier maintenant kilométrique, que glisser un petit bout de papier dans une urne va leur donner l’assurance qu’un type fera vaguement comme il en a parlé un jour sur la place de la mairie…
- Enfin, et en parfaite synchronisation avec l’actualité, nos compatriotes ressentent plus de besoin de protection. La sécurité, c’est chouette, ça. Et puis, si ça peut se faire en tailladant un peu dans les libertés des autres, on ne va pas se gêner…
En réalité, ce sondage montre exactement ce à quoi on pouvait s’attendre depuis un moment : la perte de crédibilité des politiciens s’affirme à mesure qu’on constate, tous les jours, leur totale impuissance à régler les problèmes et leur extraordinaire capacité à rebondir pour leurs propres intérêts.
Qu’importe la casserole, pourvu qu’on ait le mandat ; la République aurait pu collectionner au nom de ses plus illustres représentants les marmites les plus clinquantes sans réellement souffrir de la moindre perte d’acceptation de la part d’une population qui a vu son pouvoir d’achat moyen dégringoler constamment. Peu importe les affaires, peu importe les valises de billets, peu importe les comptes numérotés, peu importe les scandales, peu importe, même, les condamnations avec ou sans sursis : on retrouve toujours les mêmes roublards aux manettes. Juppé, Emmanuelli, Hortefeux, Léotard, j’en oublie des douzaines qui ont des casiers et prétendent guider le peuple.
Mieux : ils lui font les poches, avec le sourire !
Ce sondage montre aussi que les discours Lepénistes ou Mélenchonistes portent.
Oh, ils ne portent pas parce que les personnages qui les éructent seraient, eux-mêmes, des parangons de vertu, des exemples de probité ou d’abnégation. Loin s’en faut : l’un et l’autre candidats ont, comme les autres, leur lot de casseroles, d’idées idiotes, et de revenus ponctionnés sans vergogne directement dans la poche des contribuables. Mais avec leur « Tous Pourris« , ils sonnent de plus en plus vrai, même si – et on peut sourire au passage – en bon politiciens, ils ne s’incluent évidemment pas dans le Tous, ce qui est une évidente erreur.
En réalité, si, bien sûr, il existe certainement quelques élus qui ont à la fois un salaire de misère et à coeur d’aider ceux qui les ont portés à une charge républicaine. Mais ces élus sont, pour ainsi dire, incolores, inodores et sans saveur : on ne les voit nulle part dans les médias, leurs idées de bon sens ne sont entendues que des 12 personnes qui les fréquentent, et leur humilité naturelle les restreint à ne vouloir sauver que ceux qu’ils connaissent vraiment, loin des idées grandioses de leaders gesticulants partant à la reconquête du monde, des étoiles et de l’univers.
D’ailleurs, statistiquement, il ne pourrait en être autrement : plus d’un demi-million (550.000 !) d’élus pour 65 millions de Français, ils ne peuvent pas tous être corrompus, cyniques ou jeanfoutre. Sur un malentendu, un ou plusieurs hommes honnêtes se sont certainement glissés dans le lot, pour diriger qui une des 36500 communes, qui l’un des 101 départements, 26 régions ou cinq millions de fonctionnaires…
Finalement, la raison de la lassitude des Français est peut-être à rechercher dans ce foisonnement. Celui des strates, des élus, des affaires…
Outre le mille-feuille administratif, la multiplication exponentielle des dépenses somptuaires pour des types dont plus personne ne sait ce qu’ils fabriquent vraiment (en dehors de tringler la secrétaire ou fumer les cigares d’import) alimente le sentiment général de déconnexion des élites au peuple. Ce sentiment monte d’autant plus fort que les rares contorsions et les pathétiques pantomimes des uns et des autres aboutissent systématiquement à aggraver les problèmes ; ce qui est logique : en plus d’être, pour la plupart, cyniques et jeanfoutre, les politiciens sont maintenant majoritairement excellent en politique politicienne et absolument nuls dans tous le reste, depuis l’économie jusqu’à la simple arithmétique.
De loin, tout ceci concourt en définitive à obscurcir encore un peu plus le paysage politique. En 2012, on peut cependant parier que ces mêmes Français qui se lassent s’exciteront à nouveau devant les isoloirs. À toutes fins utiles, j’ai déjà préparé mon petit bulletin. Je n’irai pas voter, mais certains le trouveront utile.
J’entends déjà les remarques acidulés de mes lecteurs démocrates, attristés d’un poujadisme aussi violent. Je sais, ce n’est ni fin ni réellement drôle, mais, à vrai dire, cela soulage.