On sait le bon goût de Sofia Coppola en matière de bandes originales. Un bon goût affirmé dès un premier film mémorable mais tel qu’il devint très vite suspect, comme s’il s’était agi ensuite, pour la cinéaste (un temps liée à Spike Jonze, puis, plus récemment, à un musicien de Phoenix), d’avoir toujours la B.O. la plus cool, de donner à chaque film les gages d’un positionnement indie irréprochable.
D’abord rattrapée par la hype (il faut se souvenir que Virgin Suicides mit très longtemps à sortir en France), on a vite pensé que Sofia s’était surtout muée en suiveuse agaçante, ne tentant même plus de rééditer l’exploit de son premier film (une vraie bande "originale" - signée Air, pour mémoire) pour se contenter d’enfiler, dans ses films les plus médiocres (Lost in Translation et Marie-Antoinette, pour ne pas les nommer), les morceaux pop comme un Scorsese déroule son juke-box rock au gré d’une filmographie à l’intérêt très aléatoire.
Ce n’est pas avec Somewhere que les choses changeront, mais il y a un détail que j’aime beaucoup dans ce film. Si l’à propos des choix de Sofia ne surprend pas, frappe surtout comment la musique y est, elle-même, mise en scène. Je pense particulièrement à trois scènes. Qui, toutes trois, coïncident, dans leur durée, avec l’intégralité de trois morceaux qui leur sont très étroitement liés.
C’est à chaque fois une musique "in", diégétique, diffusée par une sono rachitique, saisie en direct : diffusée par un radio-cassette dans les deux scènes (volontairement interminables) de chambre d’hôtel où des jumelles strip-teaseuses distraient Johnny Marco ; crachée par les hauts-parleurs d’une patinoire déserte quand Cléo se rend à son cours avec son père, la star hollywoodienne maussade interprétée avec une paradoxale conviction passive par Stephen Dorff. Au show cheap et maladroit – et involontairement drôle – dispensé par les deux strip-teaseuses, deux morceaux à la fois très bons et particulièrement vulgaires : le My Hero épais et épique des Foo Fighters et le r'n'b One Thing d’Amerie. Pour la scène à la patinoire, un morceau de Gwen Stefani (Cool) qui colle parfaitement à l’imaginaire musical que l’on associerait à une pré-ado américaine de douze ans. Rien donc, ici, de très branché. Comme si Sofia Coppola réussissait enfin à mettre la musique au service de ses personnages, du film, et à s'oublier un peu (même si, plus tard, une belle reprise des Strokes par Phoenix illuminera un beau moment de quiétude entre Johnny et sa fille).
L’intelligence de la cinéaste, dans ces trois séquences, est de ne jamais lisser le son, de toujours laisser la musique "in" : rachitique pour les scènes de strip-tease foireux, perdue dans l’espace pour la séquence de la patinoire à la fois grâcieuse et gentiment ridicule. Option réaliste, en creux, raccord avec le propos et le tempo du film, tranchant d’emblée avec la volonté possiblement opportuniste présidant en amont au choix de tel ou tel morceau. Pour le dire autrement : ce qui, chez d’autres, serait là pour dynamiser, séduire, renvoie ici – par les moyens de restitution ingrats – des reflets futiles et dérisoires, pas les moindres beautés d’un film particulièrement fin et touchant.