Le chanteur ivoirien Janot H, qui officie aussi bien dans le rap et le zouglou que le coupé décalé, a fait une chanson entre les deux tours de l'élection présidentielle des 31 octobre et 28 novembre, pour défendre Laurent Gbagbo. Il a repris "Désolé", un tube du groupe de rap français Sexion d'Assaut, et en a modifié les paroles, utilisant des mots du nouchi, l'argot d'Abidjan, comme "sciencer" ("penser, réfléchir"). Résultat, ce clip électoral et un refrain entêtant: "Et je dis côtoyez Gbagbo!/Papa Maman luttez pour Ggagbo! / Alassane Ouattara désolé! /Toi et ta solution désolé!/ Henri Konan Bédié faut sciencer!"
La chanson, interprétée par le chanteur sur scène, a fait danser la première dame Simone Gbagbo, lors de son meeting de soutien à son mari, le 15 janvier à Abidjan. Le musicien, qui n'est pas le seul à faire des "sons" pour le président sortant, explique: "On est dans une période sensible et c'est à mes risques et périls, je le sais. Je le fais de mon plein gré, c'est mon devoir en tant qu'artiste. Gbagbo s'est beaucoup battu pour la démocratie en Côte d'Ivoire. Quand il était opposant, on n'a jamais entendu d'appel à la violence ou au non respect des lois. Il n'a jamais dit de ne pas aller au boulot, comme le fait Ouattara. C'est la personne de Gbagbo elle-même que je respecte."
Laurent Gbagbo avait pourtant appelé la population à descendre dans la rue en octobre 2000 pour l'installer à la présidence, alors que son rival de l'époque, Robert Gueï, avait annoncé sa victoire électorale. Aujourd'hui, l'argument est imparable, seriné par la Radio-télévision ivoirienne (RTI) : le Conseil constitutionnel a déclaré Gbagbo président de la République avec 51,4 % des voix. Peu importe que ce même Conseil constitutionnel ait invalidé des résultats annoncés par la Commission électorale indépendante (CEI), certifiés par les Nations unies, qui donnaient Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix. Ou qu'il ait annulé d'un trait de plume 600 000 voix de plusieurs départements du nord du pays, lourdement favorables à Alassane Ouattara. Pour Janot H, s'il y a eu coup de force électoral, il est clairement le fait du camp d'en face.
Né de père ivoirien et de mère béninoise, Janot H a vécu quelques années à Abobo, fief de Ouattara, puis s'est installé à Yopougon, un autre grand quartier populaire d'Abidjan, considéré comme un bastion de Gbagbo. "Avec Ouattara, il y aura la confrontation. J'entends autour de moi : "Ouattara ne sera jamais président. Si c'est Ouattara, moi je laisse ici". Avec Ouattara la Côte d'Ivoire ne retrouvera jamais la paix". Il se rappelle avoir été étudiant en anglais et informatique au Ghana, en 2002, et avoir vu des vidéos montrant des atrocités faites par la rébellion des officiers nordistes, lors de ses retours au pays.
Janot H en est cependant persuadé: les Ivoiriens ne sont pas prêts à la guerre. "Le soir, dans les maquis, on boit avec des amis qui sont pro-Ouattara. Il y a plus de 69 ethnies dans ce pays. Qui va aller attaquer qui ? Il y a un brassage ancien chez nous. Même la femme de Guillaume Soro, le chef de la rébellion nordiste, elle est Bété (l'ethnie de Laurent Gbagbo, ndlr) !"