La semaine dernière, Facebook a annoncé que les développeurs d’applications publiées sur le réseau social seraient dans l’obligation d’utiliser le système de « Credits ». Cette monnaie virtuelle a le cours suivant : 15 Credits valent 1,10 Euros. Avec cette nouvelle devise, Facebook percevra 30% des recettes issues des applications. Cette obligation prendra effet le 1 juillet 2011. Pourquoi mettre en place une telle obligation ? Quelles en sont les conséquences ?
Actuellement, les développeurs étaient libres d’utiliser n’importe quel moyen de paiement, et devaient en assurer la sécurisation. Vu le nombre d’utilisateurs du réseau social, certains éditeurs de jeux arrivent à générer des revenus très importants. A titre d’exemple, Zynga, développeur des désormais célèbres Farmville et Cityville, aurait généré des revenus estimés à 600 millions de dollars en 2010. Le problème pour Facebook est évident : le réseau social ne percevait rien de ces diverses transactions. D’après les statistiques fournies par Facebook, les membres installent plus de 20 millions d’applications chaque jour. En juillet 2010, le nombre d’applications actives était supérieur à 500.000. Le phénomène de « longue traine » est donc très important : vous avez des éditeurs rapportant individuellement d’importants revenus, mais une multitude d’autres applications, plus ou moins utilisées, rapportant individuellement des sommes moindres. Collectivement, les revenus générés par ces applications sont colossaux.
De plus, Facebook franchira durant le courant de l’année 2011 le cap des 500 actionnaires, l’obligeant à dévoiler ses données financières. Si le réseau social veut faire une entrée remarquée en bourse, cette technique visant à imposer les Facebook Credits pourrait lui fournir une image encore plus belle, augmentant radicalement son bénéfice, et donc la valeur future du titre. Ainsi, la capitalisation boursière détenue par les fondateurs, employés, et premiers investisseurs sera supérieure.
Un autre point est très intéressant : la monnaie virtuelle. Facebook est un réseau social comprenant plus de 600 millions d’utilisateurs, tous potentiellement utilisateurs de cette nouvelle monnaie. Auparavant, le système était fractionné, chaque application ayant son propre mode de paiement. Mais avec l’introduction et l’obligation d’utiliser les Credits, les membres du réseau social pourront utiliser bien plus facilement cette nouvelle devise. Le taux de change de cette monnaie virtuelle est flottant : en mai 2009, Facebook a déjà changé la parité de ses Credits par rapport au dollar. Ce système avait déjà été expérimenté dans le jeu Second Life. Cependant, le jeu était utilisé par « seulement » 2,3 millions d’utilisateurs : personne ne s’inquiétait du phénomène, vu la faible masse monétaire représentée par ces joueurs. Avec plus de 600 millions d’utilisateurs, la question est toute autre. Tant que la convertibilité des Facebook Credits n’est pas de mise : s’il y a impossibilité d’échanger des Credits contre une monnaie nationale, le risque n’est pas présent. Les problèmes se poseront dès que cette monnaie virtuelle pourra être convertible, c’est-à-dire échangée contre du cash. De multiples problèmes peuvent être envisagés : inflation et déflation des monnaie nationales (en cas de rapide conversion des Credits en monnaie nationale ou en cas du piratage du système, la personne mal intentionnée décidant de créer plus de Credits), contrôle de la masse monétaire virtuelle, fraude fiscale, blanchiment d’argent, etc.
Bien que ces risques soient grands, cette monnaie virtuelle ne peut pas être (encore) considérée comme devise, pour trois principales raisons :
- Régulation : les Facebook Credits sont contrôlés par l’entreprise elle-même, et non pas par des autorités légales.
- Liquidité : il n’est actuellement pas possible d’échanger des Facebook Credits par des monnaies nationales. Du moins pour le moment !
- Inflation : le pouvoir d’achat actuel de cette monnaie virtuelle sera le même dans 6 mois.
A l’heure où nos gouvernants nous parlent de refonte du système monétaire international, ces derniers se sont-ils intéressés au cas des Facebook Credits, avec ses 600 millions d’utilisateurs potentiels (soit plus que la zone Euro) ? La Chine semble avoir entrevu un risque, et a décidé, durant l’année 2009, l’interdiction formelle de l’utilisation d’une monnaie virtuelle dans les jeux.