Sepa : vers une mutualisation des efforts des entreprises

Publié le 01 février 2011 par Sia Conseil

Sepa pourrait conduire les entreprises à s’organiser entre elles et ainsi à court-circuiter les prestataires de services de paiement. Avant d’écrire cette évolution hypothétique (mais loin d’être irréaliste), petit rappel des conséquences certaines qu’entraîneront le virement et le prélèvement Sepa pour les trésoriers.

Que peut apporter concrètement le SEPA dans la gestion opérationnelle de flux de trésorerie au quotidien et l’organisation interne des fonctions de cash management ? Concernant le virement c’est une bonne nouvelle pour beaucoup d’entreprises, car bien souvent, les tarifs, processus et garanties sont très différents entre transactions nationales et transactions européennes. Par exemple, il n’est pas rare de voir des entreprises de taille moyenne équipées de packages regroupant un ensemble de services bancaires courants ; les virements nationaux sont généralement inclus dans ces services de base et les ordres peuvent être transmis en ligne via une plateforme bancaire de cash management ; mais les virements transfrontaliers suivent souvent un mode opératoire spécifique et doivent encore transiter via d’autres canaux, comme le mail, le fax avec signature, ou des interfaces dédiées avec authentification forte (certificats électroniques, clefs USB cryptées, etc.). Dès lors qu’une entreprise dispose de plusieurs comptes bancaires auprès d’établissements différents, la gestion de ces opérations devient particulièrement complexe, surtout en phase de réconciliation comptable ou de traitement des retours, notamment en ce qui concerne les rejets (R-Transactions). Qui plus est, ces opérations sont régulièrement facturées en sus, forfaitairement et/ou par opération, et ce malgré le Règlement 2560/2001 sur les paiements transfrontaliers, qui prévoyait une tarification homogène pour les virements nationaux et européens inférieurs à 50 000 euros.

L’intérêt de la payment factory

Mais c’est sur le prélèvement SDD, le moyen de paiement le plus novateur du SEPA, que les attentes étaient à l’origine les plus fortes. En effet, les prélèvements ne pouvaient être effectués jusqu’à présent que pour débiter des clients installés sur le territoire français. Les prélèvements envers des clients de filiales européennes devaient être transmis à une banque locale, avec des conditions juridiques, des processus et des formats de remises très différents (y compris le traitement des accusés de réceptions, des confirmations d’ordres, ou des rejets). Des processus et des systèmes ad-hoc devaient donc être déployés dans chaque pays, ce qui représentait un coût non négligeable en termes de déploiement et de maintenance. Avec le SEPA, les entreprises pourront mutualiser leurs plateformes d’encaissement en une unique payment factory européenne, qui se chargera de collecter et d’adresser pour compensation l’ensemble des ordres de paiement des entités du groupe. Cela peut présenter un avantage non négligeable, par exemple pour les spécialistes de l’assurance ou du crédit à la consommation, fortement implantés en Europe et réalisant de nombreuses opérations de prélèvement.

Ce type de dispositif pourra également être déployé pour collecter et traiter les transactions par cartes bancaires, dans la grande distribution notamment, dès lors que le SEPA pour les cartes aura trouvé une issue favorable. Plus généralement ces usines pourront centraliser l’ensemble des ordres d’une entreprise opérant sur le marché européen, tous moyens de paiement confondus.

Par ailleurs, une entreprise française aura désormais la possibilité de choisir un prestataire situé n’importe où dans la zone SEPA, par exemple en Belgique ou en Suède, pour y réaliser ses opérations de paiement, aussi bien françaises que transfrontalières. Elle pourra de ce fait sélectionner le prestataire européen offrant les meilleurs services au meilleurs prix. Dès lors plusieurs opportunités apparaissent. Par exemple, elle peut s’équiper d’un compte bancaire unique en Europe accessible depuis n’importe quelle filiale, si sa structure organisationnelle le permet. A minima, elle peut regrouper l’ensemble de ses comptes sur un même site bancaire, permettant de s’affranchir de certains services de cash pooling internationaux, et ainsi réaliser des économies sur ses coûts d’exploitation. La valorisation de la trésorerie excédentaire se fait ainsi en un point unique, en s’affranchissant de nombreux mouvements intra-day visant à équilibrer les comptes de chaque entité (dans le cas de cash pooling réel). Par extension, c’est aussi l’occasion pour les entreprises internationales de négocier des conditions tarifaires plus avantageuses en concentrant des volumes plus élevés au sein d’un même établissement bancaire.

La gestion des mandats : une difficulté à surmonter

Pourtant, il existe un revers à la médaille : au-delà de la mise en conformité technique, de nombreux investissements sont à prévoir pour migrer au SEPA. Ces derniers dépassent clairement le seul périmètre de la gestion de la trésorerie et viennent impacter le fonctionnement de l’entreprise au quotidien.

C’est la mise en place du prélèvement européen qui présente le plus d’impacts en termes organisationnels et financiers pour les entreprises. Il s’agit notamment de la gestion des mandats, qui viennent remplacer les autorisations de prélèvement. Désormais, c’est l’entreprise émettrice de l’ordre de prélèvement qui devra en assurer non seulement la collecte, mais aussi l’archivage et la dématérialisation (y compris pour le stock d’autorisations existantes). En effet, les standards SEPA prévoient que les données du mandat devront obligatoirement être intégrées électroniquement dans l’ordre de paiement transmis à la banque. Ces informations devront par ailleurs être mises à la disposition des conseillers clientèle pour en assurer la gestion, ce qui implique de faire évoluer les interfaces des outils de gestion de la relation client et de former le personnel en conséquence.

Par ailleurs, le report de la charge de gestion du mandat vers le créancier, combinée à des droits de contestation étendus de 13 mois, fait peser un risque juridique et financier avéré sur l’entreprise. Au-delà du traitement opérationnel des contestations, l’entreprise est désormais responsable de la remise en état du compte du client en cas d’incident. Un impact potentiellement important et difficilement industrialisable, lorsque l’on sait que cela peut supposer l’annulation d’agios facturés par la banque du client ou le traitement des conséquences d’un fichage FICP (Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers).

Et faute de dispositif d’authentification forte en France, la promesse de la dématérialisation – qui était un des piliers du SDD – reste très théorique, sachant que dans l’état actuel de la législation, une signature papier restera nécessaire !

Des entreprises qui s’émancipent des banques ?

Dans ce contexte, des recours à l’externalisation pourront être envisagés. La gestion documentaire des mandats ou la gestion du contentieux ne faisant pas partie du cœur de métier des grands facturiers, il n’est pas impossible de voir des prestataires spécialisés investir ce créneau. On a déjà vu par ailleurs que le SEPA aiguisait les appétits en termes de nouvelles offres, à l’instar de ce que l’on constate dans le domaine de l’acquisition et du traitement des transactions par carte bancaire, où l’on voit proliférer plusieurs nouveaux entrants sous forme d’établissement de paiement.

Mais il est à noter cependant que les entreprises ne seront pas forcément prêtes à dérouter cette fonction, stratégique d’un point de vue opérationnel, vers des start-up nouvellement créées. C’est pourquoi il n’est pas impossible de voir émerger des initiatives novatrices à potentiel de mutualisation. Certaines entreprises pourraient par exemple réunir leurs énergies au sein d’un GIE, comme c’est le cas, par analogie, entre banques avec le Groupement Cartes Bancaires. Ce type de modèle serait particulièrement justifié en raison du problème de la gestion des mandats et de la simultanéité d’intérêt liée à une date buttoir qui sera commune à tous. Peu d’entreprises vont probablement investir en propre dans un système de dématérialisation, d’archivage et de gestion des mandats. Elles pourraient donc mutualiser cette fonction au sein d’une structure ad-hoc, puis éventuellement vendre ce savoir-faire à d’autres entreprises. Il y aurait alors d’une part les entreprises qui externalisent la gestion des mandats et paieront donc ce service (la partie encaissement-décaissement de la trésorerie sera dès lors plus coûteuse), et d’autre part, celles qui investissent sur la gestion des mandats en faisant de ce savoir faire une nouvelle activité rentable.

Le SEPA pour les entreprises dépasse donc largement la « simple » mise à jour d’infrastructures techniques. Il suppose – et suggère – de vastes projets de transformation, qui doivent embrasser l’ensemble des dimensions business, organisationnelles, juridiques et informatiques. Dans un contexte marqué par la baisse des dépenses imposée par la crise et les questions restées ouvertes quant à l’harmonisation des standards SDD, il a certes connu un démarrage difficile. Mais dans une perspective à plus long terme, le SEPA reste un moteur d’innovation et de renouveau, non seulement pour la gestion de trésorerie à l’échelle de l’entreprise, mais également pour la relation entre entreprises et banques dans son ensemble.

Les moyens de paiement : des produits d’appel ?
L’ouverture des marchés nationaux de paiement n’est pas neutre pour les banques. En permettant à des établissements d’autres états membres de traiter de bout-en-bout des ordres de paiement d’entreprises nationales, le SEPA va à n’en pas douter dynamiser les échanges commerciaux entre banques et entreprises, et ainsi créer de nouvelles opportunités. L’enjeu dépasse le seul domaine des moyens paiements et constitue une opportunité de proposer d’autres produits à plus forte valeur ajoutée (crédits de trésorerie, placements, produits d’assurances…)En cela, il n’est pas impossible de voir les moyens de paiement, traditionnellement générateurs de marges récurrentes et élevées, utilisés comme produit d’appel pour proposer une offre bancaire complète, et entraîner de nouvelles formes de concurrence à l’échelle de l’Europe. Ces actions pourront également viser à développer l’activité de succursales de banques françaises à l’étranger, qui peuvent grâce au SEPA profiter pleinement des infrastructures d’échange et de compensation nationales, offrant des conditions plus avantageuses.
A noter cependant que ces mécanismes seront conditionnés, en partie, par la décision de supprimer ou non les commissions d’interchange multilatérales. Pour rappel, il s’agit d’un montant incompressible facturé au donneur d’ordre pour chaque ordre de paiement, et reversé à banque du payeur, fixé de concert les acteurs bancaires de la Place. Pour le prélèvement, celui-ci s’élève à 12,2 centimes d’euros. Si cette barrière venait à être levée, les modèles économiques et les stratégies bancaires liées aux moyens de paiement seront amenés à évoluer dans leur ensemble…

Sia Conseil

Article Les Echos du 24 janvier 2011


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