« La plupart des trafiquants que je perçois comme étant des trafiquants noirs et arabes sont des trafiquants noirs et arabes parce que le je les perçois comme tels. » – F. Riad sur la tautologie zemmourienne in LMSI
Ce qu’il y a d’inique dans l’assertion d’E. Zemmour, et ce sur quoi finalement personne ne s’est focalisé, réside dans la justification du délit de faciès. Lorsque E. Zemmour débite “Pourquoi on est contrôlé 17 fois ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes, c’est comme ça, c’est un fait”, seule la fin du propos suscite des réactions. Pourtant, si violence il y a, elle se niche justement dans la première partie de la déclaration. Une violence d’État, justifiée, relevant de la stigmatisation d’une certaine catégorie de la population. En l’occurrence, des non-blancs. D’une certaine manière, assumer sa liberté d’expression, pour faire bloc avec la maréchaussée dépositaire de la violence légale. Dans une société individualisée, consumériste et managériale, celle du “comment”, les nouveaux réactionnaires, dont les têtes de proue médiatiques sont I. Rioufol* ou E. Zemmour, ré-enclenchent la machine idéologique à base de “pourquoi”. Une petite révolution. Là où les pragmatiques (les politiques de droite en général) se réfugient derrière de vagues prétextes aux nécessités du réel. Dans ce cadre, on n’est plus dans le parler-vrai, le bris de tabou, mais dans la mobilisation idéologique de l’apologie des discriminations. Celle qui permet à un état de pratiquer une violence, de contrôler de façon répétée un groupe spécifiquement racisé de la population. En allant un peu plus loin, peut-on prétexter, parce que “c’est un fait” que la police républicaine traite un citoyen Français d’une manière différente parce qu’il n’est pas blanc ?
Les paroles d’E. Zemmour s’inscrivent dans un processus où l’organisation de l’État dans ses pouvoirs tend largement à accréditer les thèses culturalo-sécuritaires. Surtout quand elles s’attachent à démontrer la supériorité de l’Européen blanc. L’inverse est plus ardu, nous le verrons. Car l’exécutif, président de la République et ses ministres semblent totalement acquis à ces thèses. Le saupoudrage à base de diversités incarnées par R. Yade et F. Amara par exemple relève du casting. Dont le ministériat peut se résumer à : incompétences, brassage d’air inutile, culture de l’égo, mais surtout résignation à l’ordre des choses. Productif pour les xénophobes au final, ne voyant dans ces sucreries que ce qui conforte leurs thèses. Au sommet de l’Exécutif, N. Sarkozy a fait une campagne victorieuse sur le terrain de la racaille et du Karchër pour s’échouer dans le cloaque du discours de Grenoble en août 2010. Dans sa tournure d’esprit, ses réflexes langagiers et son regard sur la société, tout laisse penser qu’il adhère aux thèses soutenues par les réactionnaires. Elles furent de plus une manne électorale. À mots à peine couverts, sous prétexte de dynamisme et de républicanisme managérial, c’est-à-dire le “comment”, il emprunte la même voie façon politicienne que E. Zemmour ou I. Rioufol. Et dans cette vertigineuse régression, tous le suivent.
Le pouvoir législatif gigote un peu plus, opposition de gauche oblige. Mais compte tenu des rapports de forces, de l’emprise de l’UMP sur les chambres, ce pouvoir est aussi acquis à la stigmatisation sécuritaire. Par exemple, aucun député centriste ou humaniste (à part quelques braillements de circonstance) toujours au discours emphatique, ne s’est désolidarisé d’un gouvernement qui se donne comme objectifs un quantum d’expulsions de migrants.
Il reste le pouvoir judiciaire. Et en ce sens le procès d’E. Zemmour en appelle à un (contre) pouvoir. Une décision rendue au nom des Français symboliquement qui consacrerait le droit. Et limiterait clairement ce qui relève de la violence et de l’incitation à la haine raciale. Si elle est jugée comme telle. Faire une jurisprudence de ce qui aujourd’hui est considéré comme une banale explication d’un fait de société (“c’est un fait”), et couvert du sceau de la liberté d’expression. Remettre en ordre le “pourquoi” du “comment”. De façon très symbolique, faire irruption dans le débat public pour y poser des normes. Ces mêmes normes que E. Zemmour ou I. Rioufol appellent de leurs vœux à chacune de leurs diatribes. Donc, prendre les donneurs de leçon à leur propre jeu. Celui de la règle et de la sanction.
Non, la justice n’est pas l’opposition. Ni E. Zemmour le porte-parole officiel du gouvernement de N. Sarkozy ou d’une quelconque autre organisation. Ni opposition, ni officiel. Mais acteurs déterminants du jeu démocratique. Structurant le débat public. E. Zemmour dans un cadre politique, balise le terrain de la dernière subversion à la mode : la haine de l’autre validée par la puissance publique. La justice, dans ce contexte reste le dernier des trois (contre-)pouvoirs capables de dire la norme dans le cadre d’une possible incitation à la haine raciale. Non ce procès n’est pas un procès de la liberté d’expression, E. Zemmour en dispose largement. En use et en abuse dans les plus grands médias du pays pour donner son avis sur tout. Dans un contexte politique très lourd, remontée du réflexe frontiste, débat sur l’identité nationale, débordements islamophobes, une légère inflexion issue d’un procès médiatique apporterait peut-être un peu d’air frais…
(Suite et fin…)
*très spécialisé dans l’islam
Vogelsong – 28 janvier 2011 – Paris