Film fantastique européen assez méconnu, Leonor mérite pourtant d'être découvert par tout spectateur avide d'atmosphère étrange et hypnotisante.
Se situant au Moyen-Age, Leonor conte l'histoire d'un seigneur interprété par Michel Piccoli, dont l'épouse meurt à la suite d'une chute de cheval. Enterrée dans une grotte totalement scellée, la défunte finira par réapparaître au grand jour, dix ans plus tard.
Davantange histoire d'amour que film de genre à proprement parler, Leonor se démarque avant tout par un ton extrêmement singulier, où la lenteur du rythme n'a d'égale que l'envoûtante atmosphère qui se dégage des images. Ces dernières sont régulièrement soutenues par la sublime musique de Ennio Morricone, mélopée de haute volée à la mélodie entêtante qui achève d'ancrer le film dans un terreau à la fois dramatique et fantasmagorique.
Grand amateur du cinéma du regretté Jean Rollin, j'ai retrouvé dans le film de Juan Luis Bunuel ce même attrait pour les images oniriques, ce même amour pour les rythmes hors du temps et des modes, cette même attention apportée au ressenti plutôt qu'à l'expliqué. Il s'agit d'accepter de se faire bercer par la lancinante cadence du film, et de se laisser totalement imprégner par la proposition de cinéma du metteur en scène pour en apprécier pleinement la saveur. Ainsi, les images dans lesquelles la défunte erre dans le cadre sont empreints d'une véritable poésie morbide. Liv Ullman, actrice fétiche d'Ingmar Bergman, donne ainsi corps à cette morte-vivante s'en prenant à de jeunes filles pour pouvoir survivre.
Remariée à une femme incarnée par la belle Ornella Muti, le personnage de Piccoli demeure fondamentalement inconsolable de la perte de sa première épouse (son remariage express témoigne à ce titre d'une blessure trop douloureuse pour être supportable). Nullement amoureux de sa nouvelle femme, il demeure profondément fou d'amour pour le personnage de Liv Ullman et commettra l'irréparable afin de lui faire retrouver sa place au sein du château. Histoire d'amour passionnelle, donc, que Bunuel filme avec un onirisme présent de la première à la dernière image.
Cadre propice aux légendes et autres récits surnaturels (Excalibur, Ladyhawke...), le Moyen-Age constitue un écrin temporel qui participe de la fascination irréelle qui émane de Leonor. Châteaux, nains guerriers, vieux ponts en pierre, sorcier, les éléments du métrage forment un ensemble extrêmement évocateur, qui permet à Bunuel d'utiliser et de détourner les codes du film médiéval afin de les plier à son sujet, en l'occurence la folie amoureuse. Car du début à la fin du film, il ne sera que question d'amour. Le personnage incarné par Michel Piccoli, d'un abord antipathique, s'avère ainsi extrêmement touchant lorsqu'il laisse affleurer puis éclater l'amour qui consume son existence.
Oeuvre rare méritant d'être découverte, Leonor s'inscrit au final comme une puissante histoire d'amour par-delà la mort, dans laquelle l'émotion naît avant toute chose de l'atmosphère que parvient à créer Bunuel (et Morricone), et du rythme véritablement envoûtant de l'ensemble. Un joyau rare.