Sarkozy : « La France se tient aux côtés des Egyptiens », mais lesquels ?

Publié le 31 janvier 2011 par Juan
Dimanche 30 janvier, Nicolas Sarkozy était à Addis Abeba, en Ethiopie, pour un sommet de l'Union africaine. Il était invité en tant qu'organisateur des G20 et G8 cette année. Le terrain était facile. Le président français caressa l'assistance dans le sens du poil en plaidant pour une réforme de la gouvernance de l'ONU et une régulation des marchés de matières premières et de l'énergie. On aurait aimé qu'il fasse preuve d'autant de volontarisme réformateur en Tunisie puis, maintenant, en Egypte. Sur ces sujets au moins, l'action concrète était à portée de main.
Sarkozy est préoccupé par les morts...
Samedi 29 janvier, Fillon s'est enfin inquiété de l'ampleur des violences et Egypte. Il a dénoncé les tueries, en marge d'un déplacement au Mans : « Nous sommes extrêmement préoccupés. L'Egypte est un grand pays qui compte énormément pour la stabilité du Moyen-Orient. (...) Il faut que les violences s'arrêtent. Personne ne peut accepter qu'il y ait des morts. Personne ne peut accepter ce déchaînement de violence.» Il avait ajouté qu'il fallait que « les réformes qui sont annoncées se mettent en place. Il faut que le peuple ait un espoir d'avancer sur le chemin de la démocratie et de la liberté.» En Egypte, la répression a viré au carnage: 92 morts en moins d'une semaine de manifestations !
Le même jour, Nicolas Sarkozy avait co-signé une déclaration commune avec ses collègues Angela Merkel et David Cameron : « Nous sommes vivement préoccupés par les événements que nous observons en Egypte. Nous reconnaissons le rôle modérateur que le président Moubarak a joué depuis de nombreuses années au Moyen Orient. Nous lui demandons désormais de faire preuve de la même modération pour traiter la situation actuelle en Egypte.» Les trois leaders européens marchent sur des oeufs qu'ils ne veulent visiblement pas casser en omelette.
Dimanche, Sarkozy avait prudemment complété : « La violence, d'où qu'elle vienne, n'est jamais la solution, parce que la violence n'appelle rien d'autre que la violence, parce que la violence, sur tous les continents, n'engendre que la désolation et la souffrance. La France respecte la souveraineté des Etats et le droit des peuples à se déterminer eux-mêmes (...) mais il y a des valeurs qui sont universelles (...) tous les responsables politique doivent compter avec elles. » Et d'ajouter : « la France se tient avec amitié et respect aux côtés des Tunisiens et des Egyptiens dans cette période absolument cruciale, pas simplement pour ces deux pays, cruciale pour le monde
...  mais mise sur Moubarak
Le même jour, Jeannette Bougrab croyait bien faire en expliquant sur France info : « Il faut que le président Moubarak parte (...). Après 30 ans de pouvoir, il y a une forme d'usure et la transition démocratique doit aussi toucher l'Egypte. » La jeune secrétaire d'Etat à la Jeunesse et à la Vie associative n'était visiblement pas au diapason de la position officielle. Elle s'est faite convoquer illico par son premier ministre à cause de ces propos. Et à 13h29, on recevait un communiqué de presse de la gaffeuse : « A la suite de ses récentes déclarations sur la situation en Egypte, Jeannette Bougrab, Secrétaire d’État à la jeunesse et la vie associative tenait à préciser que la position de la France et de son Gouvernement a été exprimée par le Président de la République et le Premier Ministre.»
On appelle cela, du recadrage !
Nicolas Sarkozy a fondé sa carrière politique sur une rupture sémantique, sa capacité à verbaliser les problèmes, à appeler un chat un chat. Mais quand il s'agit des morts tunisiens ou égyptiens, le vocable change. Le Monarque reste prudent, toujours prudent. Il faut des morts, beaucoup de victimes de la brutalité policière pour qu'il réagisse. Le recadrage de Bougrab prouve que ce weekend encore, Sarkozy misait toujours sur Hosni Moubarak.
Fillon et Sarkozy n'ont fini par évoquer les morts que sous la pression internationale. Il faut dire que Barack Obama leur met la pression. Le président américain fut en effet plus direct. Les Etats-Unis ont de sacrés enjeux géopolitiques dans le pays, mais cela n'a pas empêché Obama, vendredi soir, une heure à peine après l'annonce du limogeage du gouvernement par Moubarak, de réagir personnellement depuis la Maison-Blanche : « Je veux appeler très clairement les autorités égyptiennes à s’abstenir d’utiliser la violence contre les manifestants pacifiques. (...) Au bout du compte, le futur de l’Egypte sera décidé par le peuple égyptien.»
Etait-il si difficile au couple Sarkozy/Fillon de demander à Moubarak d'arrêter de faire tirer contre son peuple ?
Jusqu'à l'automne dernier, la France apportait son soutien aux forces de sécurité égyptienne. En septembre 2010, des officiers français prodiguent, pour la troisième année, un stage de filature. Début octobre, 5 officiers égyptiens viennent en stage au RAID. Mi-octobre, deux cadres policiers français étaient venus former une vingtaine d'homologues égyptiens à la « gestion des foules », rapportait à l'époque l'ambassade de France au Caire : « L’Egypte a demandé à la France de lui faire part de son expérience en matière de gestion des foules et des grands événements. Une telle formation a été dispensée du 10 au 16 octobre 2010 au Caire au profit de 20 officiers des services d’ordre public et de la sécurité d’Etat ». Elle s’est « articulée autour des règles déontologiques, les règlements d’emploi, l’examen de cas pratiques, l’organisation des services d’ordre et de rétablissement de l’ordre, les équipements
Pour l'instant,  Sarkozy mise encore sur l'allié historique. En Tunisie, il avait commis la même erreur. Ces derniers jours, on efface les traces de cette complicité. Les conseillers élyséens  ont retiré toutes les photos figurant Sarkozy en Ben Ali ensemble lors de la visite d'Etat d'avril 2008.
Sarkozy caresse l'Afrique
« Dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut plus gouverner comme dans celui d'hier. Ce changement, ou bien on le subit et c'est la porte ouverte, un jour ou l'autre, à la violence. Ou bien ce changement on le précède, on l'accompagne et alors il peut s'accomplir sans heurt, sans déchirement, sans ouvrir la voie à toutes les aventures. Le changement pacifique, la France le souhaite.» Ces propos, Nicolas Sarkozy les a tenus en Ethiopie, devant un parterre de chefs d'Etat et de diplomates africains réunis pour un sommet de l'Union africaine. Ni Laurent Gbagbo ni Alassane Ouattara, qui se disputent la présidence ivoirienne, n'étaient présents. L’actuel président de l’UA, Mutharika du Malawi, passait la main au président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema. Ce dernier est sous le coup d’une enquête sur les biens mal acquis en France, régulièrement bloquée par le parquet de Paris. 
Nicolas Sarkozy prend son rôle de président du G20 très au sérieux. A Addis Abeba, il a dénoncé « l'excessive volatilité des prix agricoles », répété sa proposition, inutile, de financements innovants pour sauver l'Afrique, fustigé l'insuffisance de l'aide publique des pays riches.
Il s'est aussi facilement fait applaudir en prenant le secrétaire général de l'ONU à témoin : « Faites la réforme du conseil de sécurité dès cette année. N'attendez pas, ne faites pas un discours, prenez des décisions (...) reconnaissez au milliard d'Africains la place à laquelle ils ont droit et la France vous soutiendra. Cela fait trente ans que l'on parle de la réforme. Je vous propose qu'on la fasse cette année en 2011 (...) ne créons pas un groupe de travail, faisons le débat et réalisons la promesse pour associer l'Afrique, le continent latino américain et d'autres partenaires à ce Conseil de sécurité. Et à ce moment-là, il n'y aura plus d'organisations concurrentes. Si le Conseil de sécurité représente le monde dans sa diversité, alors il n'y aura plus besoin d'autres organisations. » Sans l'accord des autres membres du conseil de sécurité, Ban Ki-moon ne peut rien. 
Sarkozy s'est quand même donné le beau rôle, un rôle plus joli de celui qu'il tient au Maghreb.