A travers les vastes plaines d’Asie centrale
Quittant la brillante civilisation moyen-orientale, nous abordons les vastes plaines de l’Asie centrale qui s’étendent du Kazakhstan jusqu’aux rives de l’Atlantique Nord, en Tchoukotka, à travers des grands espaces peu peuplés où les civilisations n’ont laissé bien que bien peu de témoignages écrits et où la littérature n’est pas très présente, ou alors fort peu traduite en notre langue. J’ai tout même pu réunir quelques lectures pour vous proposer ce voyage au cœur de l’Asie avec Tchinguiz Aïtmatov venu des steppes du Kirghizstan où il a situé son merveilleux roman d’amour « Djamilia », Anatoli Kim, enfant de la minorité coréenne sédentarisée au cœur du Kazakhstan et enfin Youri Rykthéou descendant du peuple Touva qui vit aux confins orientaux de la Sibérie, là où elle flirte avec le continent américains dans les Iles Aléoutiennes. Et pour cheminer tout au long de cette vaste piste, nous suivrons Galsan Tschinag, jeune Mongol, instruit dans une université de ce qui était encore l’Allemagne de l’Est où il écrivit le roman que je vous présente ci-dessous.
Ciel bleu
Galsan Tschinag (1944 - ….)
Un coup de cœur pour sûr, l'histoire de ce petit Mongol illettré qui vit dans une tribu nomade aux confins de l'Altaï et qui a la chance de voir ses parents contraints à la sédentarisation et à l'alphabétisation de leurs enfants par le nouveau pouvoir en place. Mais, revers de la médaille, c'est à la destruction d'une civilisation et d'une culture qu'assiste le jeune Touva avant de poursuivre ses études dans un pays ami de la dictature en place.
Ce livre est pur comme le ciel de son titre et d'une fraîcheur remarquable. Il dépeint la vie très rude des Touvas comme une oasis de paix, de calme et de quiétude jusqu'au jour où les forces du progrès investissent cet espace de liberté sous prétexte d'éducation.
Galsan Tschinag a réussi de brillantes études en Mongolie, ce qui était déjà un exploit dans ce pays à cette époque, qu’il a poursuivie en Allemagne de l’Est sous le régime communiste qui sévissait là-bas comme en Mongolie dans ces années-là. Ce roman est son premier ouvrage, écrit en allemand, un acte d’amour envers son pays d’origine, un moment de nostalgie, peut-être, la dénonciation implicite d’un système qui a tué une civilisation, un mode de vie, une culture. Mais pas un acte de révolte, un constat, c’était peut-être le prix à payer par ces peuples illettrés afin d’accéder à la culture écrite et d’envoyer ses élites comme Tschinag recueillir l’enseignement d’autres civilisations.
Djamilia de Tchinguiz Aïtmatov ( 1928 - 2008 )
« La plus belle histoire d‘amour du monde ! » se serait exclamé Aragon après la lecture de ce livre d’un auteur né dans le Kirghizstan soviétique et encore fort peu connu à l’époque. Tellement belle, qu’il a décidé de traduire lui-même cette histoire où la très belle Djamilia travaille dur à la récolte de la moisson sous la surveillance amoureuse du jeune frère de son mari qui, lui, est parti au loin faire la guerre. Récit aussi de l’éclosion sentimentale du jeune narrateur au spectacle de cette superbe jeune femme couvée tendrement par le jeune garçon.
Unna de Youri Rykthéou ( 1930 - 2008 )
Aux confins de la Sibérie et de l’Atlantique Nord, en Tchoukotka, Unna petite fille de la toundra est une brillante élève qui réussit très bien ses études et qui entreprend une carrière administrative ascensionnelle dans le système soviétique en rejetant les valeurs traditionnelles de son peuple pour mieux appliquer les recommandations du régime central. Mais, quand, elle met un pied un peu à côté de la ligne du parti, le grain de sable vient vite gripper la machine et l’ascension de la jeune fille se transforme vite en une dégringolade irréversible.
Notre père la forêt de Anatoli Kim ( 1939 - ... )
Peut-être le livre qui m’a posé le plus de problèmes à sa lecture. Kim, enfant de la minorité coréenne transplantée dans le plaines du Kazakhstan, a écrit un vaste roman polyphonique qui veut embrasser tous les malheurs que la Russie a pu connaître à travers les divers masques du « Père la forêt » le démiurge qui incarne aussi bien l’aristocrate terrien chassé de ses terres par la révolution, le mort-vivant rescapé des camps de la mort que le savant devenu fou parce qu’il a inventé une arme destructrice. Un roman parabole dont les différentes voix s’imbriquent en une vaste symphonie à la mémoire des victimes de la révolution, de la lente agonie des prisonniers russes aussi bien que de celle des prisonniers allemands et même de la souffrance de la terre mère meurtrie par notre civilisation irresponsable. Un roman plein de désespoir où même le dieu, démiurge de la forêt, préfèrerait la mort à la vie qui nous attend mais peut-être que le sacrifice d’un enfant qui trouve un issue à son drame pourrait indiquer une nouvelle direction rédemptrice pour l’humanité entière. Je vous ai prévenu : s’armer avant de se lancer dans cette lecture.
Pour consulter la liste complète des articles de la rubrique LITTERATURE, cliquer ICI