Ressortir après le dîner, dans le froid, sous la pluie, très peu pour moi.
Mais je me fais violence, rien que l'idée d'être trop casanière me pousse à enfiler mon manteau et à descendre les escaliers.
Une cigarette me tient compagnie le temps du trajet, les ruelles que je connais par coeur, ici le fromager qui baisse le rideau de sa boutique, là la boulangère qui passe le balai. Des flots entiers de gens qui sortent du métro, tête baissée, le pas rapide, envie de rentrer, envie de dîner, envie de dormir, envie d'oublier.
Je passe le coin de la montée, je descends la rue pavée, j'y suis presque. Je devine quelques silhouettes, mes collègues de l'atelier, on se retrouve semaine après semaine, on discute, on refume une cigarette, on prend des nouvelles des uns et des autres.
Et on attaque. Échauffement ou pas, certains aiment jouer avec leurs tensions, d'autres non.
L'intervenant annonce le thème de la soirée : des rires fusent, on échange des regards exorbités. On ne va jamais y arriver, il met la barre trop haut.La gêne, la timidité, la peur du ridicule. Jusqu'à ce que l'un d'entre nous se lance. Celui qui le sent, celui qui a envie. Même pas peur.
Vient mon tour. Une dizaine de regards rivés sur moi, pleins d'attention. J'ai des noeuds à l'estomac, le trouillomètre à +100, les mains moites et le coeur qui bat à 200 à l'heure. Le trac, en somme. Puis je me lance, je joue l'impro qui m'est demandée. Comme par magie, la femme timide et complexée que je suis tombe son masque. Je me glisse dans la peau d'une autre et je laisse jaillir mes émotions comme je n'ai jamais l'occasion de le faire in real life, par peur de trop me dévoiler. Mais là, ce n'est pas moi, c'est une autre, alors je suis libre. Libre de crier, de rire à gorge déployée, de m'arracher les cheveux, de faire des grimaces, de dire des énormités, de gémir de douleur, de me rouler par terre. Un travail toujours perfectible, car je suis rarement satisfaite de mon jeu, même si les critiques de mes collègues sont souvent positives.
J'aime leur regard bienveillant et sans jugement, j'aime les entendre rire ou saisir l'expression de leur visage quand je les touche droit au coeur. J'aime quand eux -mêmes me font rire ou me donne les larmes au yeux.J'aime partager avec eux tous ces moments, alors que je ne les connaissais pas il y a 6 mois.
La séance est terminée. Cet atelier de théâtre est une vraie bouffée d'oxygène. Je rentre chez moi, légère comme une plume, je traverse les rues désertes plongées dans la nuit. Je suis libre. Je suis pleine de vie. Et je souris.