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Le merveilleux "grenier" d'un Maître Bâtisseur

Par Marc Chartier


À la tête d'un arsenal de 23 bateaux et d'un parc de quelque 800 engins de chantier, Philippe Naudin est un retraité heureux. Sa solide carrière professionnelle sur mer, puis sur de nombreux chantiers de par le monde, appartient désormais au passé, mais elle continue de vivre à travers une collection de maquettes et modèles réduits sans doute unique au monde

Philippe Naudin a deux passions : la mer (ou plus précisément, les belles et lourdes mécaniques qui permettent de flotter à la surface des eaux) et la vie de chantier.
Certains collectionnent les timbres-poste, les bandes dessinées, les chopes de bière, les
monnaies, les outils anciens, les étiquettes de boîtes de camembert, les soldats de plomb, les catalogues ou affiches de cirque, etc. Lui a arrêté son choix sur les maquettes ou modèles réduits de bateaux et d'engins de chantier.
Explication de texte : Philippe est aujourd'hui un retraité très actif. Après dix années comme mécanicien et chef mécanicien de la Marine marchande au cours de laquelle il a sillonné toutes les mers du monde, il a rejoint l'entreprise de Travaux Publics Bourdin et Chaussé (8 années de bons et loyaux services comme responsable du matériel), puis l'entreprise GTM, toujours comme ingénieur responsable du parc de matériel en service sur les chantiers. D'où une double casquette
et un double centre d'intérêt dans l'expression de son hobby : se constituer sa propre collection, son mini-musée de reproductions miniaturisées de navires ou bateaux de tourisme et de quasiment tous les types d'engins fixes ou mobiles intervenant dans le déroulement d'un chantier de construction.


Mini-musée ? Le terme n'est sans doute pas exact. En effet, dans le "grenier" de sa maison de Loire-Atlantique, Philippe Naudin a installé des étagères qui succèdent à d'autres étagères pour accueillir toutes ces merveilles de la miniaturisation. Pensez donc ! Il faut bien leur trouver une place à ces quelque huit cents engins qui constituent actuellement une collection à nulle autre pareille et qu'il faudrait plutôt baptiser le "fonds Philippe Naudin".

Le déclic

Mais comment tout cela a-t-il commencé ? « Je voyais souvent, répond Philippe, dans le bureau de mes collègues de travail chez GTM, des miniatures placées en décoration, comme autant de souvenirs du passage des représentants de fournisseurs. Un jour, l'un de ces fournisseurs m'en a donné quelques-unes et ce fut le déclic ! »

C'est ainsi qu'en général naît la passion des vrais collectionneurs : un "déclic"! Inexplicable parfois, incontrôlable bien souvent.

Inexplicable ? Encore une fois, le terme n'est sans doute pas le bon, car Philippe, avant de se laisser prendre par la passion du maquettisme, fut un vrai passionné de ses fonctions et occupations professionnelles, autant dans la marine que sur les chantiers de TP. Il faut l'entendre parler de son passé maritime, de ces moteurs de navire qu'il a bichonnés, mis en parfait état de marche et parfois réparés, dix années durant. À commencer par la compagnie CTO Line au sein de laquelle il a effectué la bagatelle de trois tours du monde... Et de même pour ses années chez Bourdin et Chaussé et GTM. Aussi à l'aise sur terre qu'en mer dès lors qu'il s'agit de mécanique, notre ingénieur a vraisemblablement du mal à définir ses préférences. La preuve : même s'il accorde tout son soin aux maquettes de bateaux, « plus médiatiques et intéressant davantage les journalistes non spécialisés », il bichonne avec au moins autant d'intérêt son abondante collection de pelleteuses, de grues, de draglines, de camions et autres engins de chantier.
La vie d'"expatrié" a toutefois joué un bien mauvais tour à Philippe Naudin. Au cours d'un séjour en Guinée, en 1986, pour des interventions sur un chantier local, il est victime d'un grave accident de la route. Bilan : fractures diverses et très sérieuses, nombreux traumatismes. D'où un retour de toute urgence en métropole pour y subir des interventions chirurgicales, puis des séances de rééducation. Et voilà le globe trotter condamné à neuf mois d'inactivité forcée, dont trois mois en fauteuil roulant. Il ne se laisse pas abattre pour autant. « Pour éviter, comme il le dit lui-même, la déprime », il met à profit sa longue convalescence pour donner plus de temps à sa passion des maquettes. Et c'est parti pour la construction de son premier bateau : le chalutier Duc d'Armor.


Ce premier "chantier" fut par la suite complété par d'autres : le Tobago de CTO Line (eh oui ! on ne se refait pas !), construit au prix de 750 heures de travail ; le bateau de guerre Tartu ; le catamaran Pont d'Yeu, que Philippe a pu réaliser parce qu'il avait ses entrées auprès de la compagnie qui exploite le bateau effectuant des navettes continent-île d'Yeu et dont il a pu obtenir les plans.

Un infatigable collectionneur

Chacune de ces maquettes est complétée par sa propre télécommande et fonctionne au quart de tour (les hélices tournent pour de vrai !), avec en prime quelques effets de lumière pour le moins inattendus et, soudainement, quelques coups de corne de brume qui rajoutent encore une touche de réalisme à cet univers de la miniature.
Aujourd'hui, vingt ans après la péripétie
"guinéenne", la collection est impressionnante, sans doute l'une des plus importantes du genre en Europe. Peut-être même au monde... Mais la modestie de Philippe fait que nous n'en saurons rien ! La collection s'est en tout cas enrichie au jour le jour, au gré des trouvailles, des acquisitions, des achats, des échanges ou encore des belles surprises, tels ces engins de déneigement dégotés au Koweït où, c'est bien connu, la neige tombe en abondance !
Philippe Naudin a mis à profit ses pérégrinations de par le vaste monde pour aller fureter dans les échoppes pouvant recéler telle ou telle pièce manquante à sa collection. Il a écumé tant et tant de brocantes et de magasins spécialisés qu'il est difficile à prendre en défaut. Il possède ou sait dénicher les bonnes adresses, guidé par l'instinct du vrai collectionneur. Et quand il ne réussit pas à trouver la perle rare, l'engin qui titille son insatiable curiosité, c'est bien simple : il se met à son atelier et fabrique lui-même la maquette manquante !
Il est superflu de le noter : l'infatigable collectionneur sait où il va, car ses recherches sont techniquement imparables. Chaque pièce a sa fiche et entre dans un classement ad hoc. Les engins de chantier, notamment, sont répertoriés en parfaite conformité avec les vingt classes, puis les catégories de la nomenclature adoptée par les professionnels des Travaux Publics : numéro dans l'ordre, marque, type, puissance, poids, échelle, autres caractéristiques techniques.
On comprendra qu'il soit difficile de dresser ici un inventaire de toutes les richesses que recèle le "grenier" de Philippe.

Mentionnons toutefois quelques pièces méritant une attention toute particulière, ne serait-ce que parce que l'ingénieur des TP les a fabriquées lui-même, qu'elles lui rappellent tel ou tel chantier et qu'il les a "pratiquées" en vraie grandeur pour les maintenir en état de marche, alors qu'il était en activité.
Les noms évoquent par eux-mêmes toute une
histoire : la Manitowoc 4100 sur ringer, l'American Hoist avec Sky Horse (contrepoids) sur chenilles, la dragline "marcheuse" Rapier W 700... Chacune de ces maquettes n'est pas vouée à ne rester qu'un simple objet de collection. Elle est au contraire révélatrice d'une technique, d'une fonction bien précise. Elle évoque tel ou tel chantier français ou international. Ne vous avisez surtout pas de confondre deux pelleteuses apparemment semblables : l'une "travaille" en butte, l'autre en rétro. Traduction : la première attrape la terre par dessous ; la seconde, par dessus. Bref, tout ce qui gratte, bat, arrache, sert au terrassement, aux sondages ou aux travaux souterrains, que l'engin fonctionne sur pneus ou avec des chenilles, tout ce matériel se retrouve rassemblé ici, sur ce chantier mi-imaginaire mi-réel, mais bien dans l'univers des grands aménageurs d'espaces que sont les pros des Travaux Publics.
Même topo pour les maquettes de bateaux :
l'ancien de la Marine marchande présente au visiteur, sans prendre la précaution de dissimuler quelques trémolos dans la voix, une maquette du Commandant de Pimodan, un aviso à propulsion diesel, spécialisé dans la lutte anti-sous-marine côtière, ou encore un remorqueur américain Paterson, propulsé à la vapeur. Aucune pièce, aucun élément technique n'est laissé au hasard. Tout fonctionne pile-poil, à l'aide de différentes télécommandes, presque le seul détail qui nous rappelle l'univers miniaturisé dans lequel nous nous trouvons immergés.

Denise, épouse de Philippe Naudin : première admiratrice des chefs-d'oeuvre fabriqués par son mari

Des maquettes porteuses d'une histoire

Notre guide est intarissable dans ses commentaires. Une heure, deux heures passent dans un réel enchantement. Dans le même temps, mine de rien, on réalise que Philippe Naudin ne fait pas "joujou" avec ses maquettes : elles sont pour lui, puis rapidement pour le visiteur, porteuses d'une histoire, comme autant de témoins des techniques de construction qui illustrent la grande Histoire des Travaux Publics.
Les oeuvres d'art que nous admirons sont ainsi devenues des "outils pédagogiques". Ce qui nous amène à découvrir une autre facette des activités du retraité Philippe Naudin : la formation.
Admis chez GTM comme Maître Bâtisseur vers la fin de sa carrière professionnelle, l'ingénieur Naudin répondait aux engagements de cet "ordre" : faciliter l'insertion des jeunes, entretenir l'esprit d'entreprise, donner l'exemple dans les domaines de la qualité et de la sécurité... Autrement dit : transmettre son savoir-faire.
Parvenu à l'âge de la retraite, Philippe a exercé encore trois années, comme bénévole, cette fonction de formateur au Centre de formation de GTM à Marolles-en-Hurepoix (Essonne).
Pour piquant qu'il soit, le détail ne nous surprendra plus : faisant suite à des exposés en bonne et due forme sur l'achat et l'entretien d'un parc de matériel de chantier au Centre d'Études Supérieures et Industrielles (CESI) de Nantes, une visite était programmée au désormais célèbre "grenier". Sur une table de ping-pong vouée momentanément à un usage moins ludique était aménagé un chantier miniature où les stagiaires avaient à mettre en oeuvre des engins compte tenu de leurs différentes fonctions. Admettons ! Il ne s'agissait que d'une simulation à échelle lilliputienne. Il n'empêche que toutes les phases d'un "vrai" chantier étaient représentées et qu'intervenaient tous les engins nécessaires au bon déroulement de ce chantier. Bonjour et chapeau la pédagogie !
Aujourd'hui, l'ingénieur des TP a définitivement bouclé la boucle de ses engagements professionnels, mais il n'est pas difficile de le percevoir et de le comprendre : son esprit est encore là-bas, sur quelque mer ou océan, ou bien encore immergé dans quelque chantier gigantesque où l'on faisait appel à sa disponibilité et à sa compétence.
La passion de notre ami Philippe Naudin pour les maquettes serait-elle alors pour lui une manière de revivre une vie active où il a, confesse-t-il avec simplicité, « décroché son bâton de maréchal » ?
La réponse, bien sûr, lui appartient. Il s'empresse alors d'ajouter, avec non moins de lucidité : « Je sais faire peu de choses, mais ce que je fais, je le fais bien ! » Il suffit, pour en être convaincu, de suivre notre guide dans son grenier aux innombrables merveilles, autant d'objets inanimés qui ont réellement une âme.


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LES COMMENTAIRES (3)

Par bertrand
posté le 08 juin à 19:32
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Bonjour, Je recherche une dragline,j'ai toujours été fasciné par ces engins, et je ne trouve aucune maquette de cet engin. Comment faire? Bien cordialement

Par Dranbert
posté le 03 juin à 11:34
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Bonjour, Je recherche une dragline,j'ai toujours été fasciné par ces engins, et je ne trouve aucune maquette de cet engin. Comment faire? Bien cordialement

Par [email protected]
posté le 31 octobre à 18:17
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monsieur je suis un passionne de grue telescopique et a chenille et je voudrais vous demander comment avoir une grue merci de me repondre au plus vite mes sincere salutation_

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