Je ne sais plus à quelle occasion, j’ai rencontré PAG. Puis, j’ai reçu, dans ma boite aux lettres, son nouvel ouvrage, dédicacé de sa main de maître, C’est tous les jours comme ça, que j’ai commencé par feuilleter distraitement. Or, dois-je l’avouer, je ne savais pas encore faire ainsi connaissance avec un « authentique » écrivain. Et croyez-moi, je ne prononce jamais ce mot au hasard.
« Nous nous trouvions réunis dans une vaste salle un peu austère au centre de laquelle avait été dressé un immense buffet froid pour arroser je ne sais quel événement dont je ne mesurais pas de prime abord toute l’importance. » C’est ainsi que débutent les notes prises par le vieux Anthelme Bonnard. A le lire, il ressemble de très près à un vieil anarchiste blasé, désenchanté. Blasé et désenchanté, oui, mais pas trop tout de même ! Car il lui reste encore suffisamment d’illusions, de nerfs pour s’insurger, se révolter contre l’absurdité du monde moderne : le passage du temps comme attente interminable ; les candidats à on ne sait quoi, et qui s’invitent impunément dans votre salon ; le féminisme endiablé qui rêve secrètement de vider la planète de sa phallocratie galopante et des mâles avec ; la brutalité d’un monde qui n’en a ni le sentiment ni la mesure…
Bref ! Dois-je franchement continuer la liste ? Vous l’aurez tous compris, le vieil Anthelme Bonnard ne sait pas ce qui le retient de se révolter contre ce vieux monde endormi, débilitant, et dérangé à outrance… Anthelme Bonnard, à la limite de la démence nerveuse, songe à entrer en guerre… Mais pourquoi donc ? N’est-ce pas plutôt les journées qui passent qui sont le mal radical, car elles sont « somme toute bien banale(s) » ? Bien sûr, la ville et ses bagnoles, la folie ambiante de nos contemporains, les transformations alarmantes de nos villes en cadres de vie invivables, tout cela venant mettre à terre nos « petits moments d’insouciance », nous ôte surtout notre « goût de vivre », « la ferveur d’être ensemble »… Mais, au final, la police a beau venir chercher, comme dans un feuilleton kafkaesque, un étudiant des Beaux-arts parce qu’il possède « un couteau suisse de couleur verte, modèle pour officier avec tire-bouchon », l’époque peut bien ne plus prêter à la révolte collective, notre vieil homme de comprendre que le problème n’est autre que la révolte contre la fuite du temps, la vie à ne rien faire, l’horizon qui se défait derrière la vitre, la folie des hommes qui ne savent pas quoi faire de leur vie ! Et le voilà, cheminant presque malgré lui vers une idée lumineuse : accepter que la vie n’est en réalité que plaisir de l’attente, car, voyez, « le va-et-vient bruyant de la vie persiste au beau milieu de ce merdier ». On peut ainsi continuer de lutter contre la dégradation de notre situation, en attente de l’apocalypse, puisqu’on a la vie d’artiste, le jazz, les terrasses de café, les belles rencontres. Voyez ! « tout n’est pas perdu » dans le combat, voire rien n’est perdu « vers la légèreté et la lumière qui continue ». Les notes du vieil Anthelme Bonnard, comme un tango, nous disent que la vie, dans ses jours minuscules, nous apprend qu’au cœur du balancement et du désordre, il nous faut simplement repartir… Une bien belle leçon de vie, non ?
(Etabli à partir de Pierre Autin-Grenier, C’est tous les jours comme ça, Editions Finitude, 2010.)
(Paru dans Le Magazine des Livres n°28, jan-fev 2011)