Face à la terrible inflation des prix de l’immobilier dans l’agglomération nouméenne de nombreux ménages se trouvent en grande difficulté pour accéder à la propriété. Désireux d’aider ces ménages le gouvernement a récemment adopté une mesure en vigueur depuis 1976 dans la lointaine métropole : le prêt à taux zéro (PTZ). Ainsi, un ménage qui souhaite acquérir un bien aura-t-il, en fonction de la taille du ménage et de ses revenus, une partie de son prêt qui sera dégagé des intérêts, ces derniers étant finalement payés aux banques par les finances publiques. A mon sens, un tel prêt devrait obéir aussi à des conditions urbanistiques liées à la localisation de la résidence. En premier lieu, je vais montrer l’intérêt de la mise en œuvre de telles conditions pour les ménages puis je vais en discuter de manière plus globale, par rapport aux déviances de l’urbanisation liées en particulier au phénomène de l’étalement urbain.
Un cadeau empoisonné ? Etude de cas.
Le cas retenu ici est simple et plausible, quand bien même il est évident qu’il ne saurait être généralisable, il nous semble être une bonne illustration d’un des biais du PTZ : la non-prise en compte du coût de la mobilité. Prenons ainsi une famille de 4 personnes, avec un revenu annuel de 3 500 000 FCFP, qui investit 25 000 000 FCFP pour faire construire à Païta-Gadji. Pour cela, avec un apport de 2 000 000 FCFP, elle souscrit une demande de prêt à taux zéro qui lui est accordé sur 20 ans à hauteur de 14 700 000 FCFP ce qui lui permet d’économiser 8,6 millions de francs d’intérêts (dans l’hypothèse d’un prêt à 5%). En d’autres termes, le mécanisme de solidarité mis en place par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie offre 8,6 millions de francs de frais bancaire à ce ménage, ce qui de prime abord apparaît comme véritablement généreux.
Toutefois, ce cadeau peut s’avérer bien empoisonné s’il n’est pas accompagné de conditions sur le lieu d’installation. En effet, habitant à Païta et travaillant au centre-ville de Nouméa (où sont concentrés plus du tiers des emplois de l’agglomération) devra non seulement parcourir un grand nombre de kilomètres mais finira pas acheter une deuxième voiture pour autoriser la mobilité de sa femme, elle aussi active, mais dans un autre quartier.
Je propose de calculer le surcoût lié à la mobilité pour ce ménage exilé à Païta par rapport à une localisation maîtrisée, par exemple à Dumbéa-sur-Mer, qui connaîtra une mixité des usages et des services de transport collectif. J’ai fait l’hypothèse que ce ménage, quelque soit la localisation de sa résidence, possède une voiture (utile par exemple pour partir en brousse le week-end). Aussi, les frais fixes (assurance, amortissement, entretien) liés à une voiture ne sont pas comptés. En revanche, j’ai considéré que l’achat d’un deuxième véhicule résulte de l’éloignement de l’habitat aux fonctions d’emploi, de commerce, d’éducation et de loisir. Aussi, le ménage qui habite à Dumbéa-sur-Mer n’a-t-il pas utilité de ce deuxième véhicule. L’ensemble des autres hypothèses peut-être vu plus bas.
Différents scenarii ont été établi sur le prix de l’essence (qui constitue selon moi la principale variable des pratiques de mobilité): un premier scénario au fil de l’eau, où l’essence augmente modérément de 4% par an, un deuxième scénario plus inquiétant, avec une hausse annuelle de 8% et un troisième scénario catastrophe dans lequel le prix de l’essence à la pompe augmente de 16% par an (soit un doublement du prix à la pompe d’ici 5 ans…).
A la fin de la période de prêt, en 2031, le ménage habitant Gadji aura dépensé, pour sa mobilité, 11 millions de francs de plus que celui de Dumbéa-sur Mer dans, le scénario 1, 13,4 millions de francs de plus dans le scénario 2 et la coquette somme de 24,9 millions de plus dans le scénario 3.
Autant dire que la générosité gouvernementale de 8,6 millions s’est rapidement évaporée pour devenir un véritable cadeau empoisonné !
Pour des politiques fiscales qui participent à un aménagement urbain de qualité.
En plus du poids sur les ménages d’un PTZ qui n’intégrerait pas la localisation résidentielle dans ses critères, il nous paraît important de noter les dérives produites par un tel produit fiscal sur l’aménagement du territoire. Ainsi, en 2004, le Conseil Général des Ponts et Chaussées a-t-il cherché à évaluer l’impact du PTZ sur l’aménagement du territoire. Ses conclusions sont sans appel : « le PTZ finance essentiellement de la maison individuelle localisées dans les secteurs périurbains (…) il agit donc comme un accélérateur d’une tendance lourde à l’étalement urbain ».
Il apparaît donc le PTZ est un dispositif qui devrait participer à une véritable politique urbaine destinée à contraindre les dérives de l’extension urbaine, tel que cela apparaît en objectif principal du Schéma de Cohérence de l’Agglomération du Grand Nouméa. Aussi le PTZ doit favoriser l’acquisition de logement vertueux afin d’infléchir l’offre immobilière du Grand Nouméa vers des produits écologiques et novateurs (c’est le sens du PTZ+ qui vient d’être lancé en métropole) et qui aident à créer une agglomération qui ne soit plus dépendante d’une automobile qui l’asphyxie mais qui promeuve d’autres mobilités, d’une ville fondée sur le vivre-ensemble avec une certaine compacité et qui favorise la mixité des usages. Ainsi on pourrait imaginer, comme Cordobes, Lajarge et Vanier, dans le n°2 de la revue Territoire, que cette aide à l’acquisition d’un logement soit « conditionnée et modulée par la densité de l’opération dans laquelle s’insèrerait le logement (selon un seuil établi autour de 50 logements par hectare), l’accessibilité en transports collectifs (selon la règle des moins de 300 mètres) et l’écoconstruction (de type norme HQE). Aucune opération ne pourrait, dans cet esprit, recevoir d’aide publique, directe ou indirecte, si l’un de ces trois critères n’était pas respecté. ».
Ainsi, pour tout louable que soit le PTZ instauré par le Gouvernement (quand bien même nous pouvons nous interroger sur l’impuissance des pouvoirs publics à lutter contre l’actuelle bulle immobilière, qui me semble même favorisée par la défiscalisation si ardemment soutenue et l’absence d’outils de politique foncière), il apparaît comme une mesure trop sectorielle et pas assez intégrée dans un projet commun d’aménagement des lieux de vie. Ne pourrait-on pas imaginer de le modifier rapidement ?
François