L'Ecole Emportée
de Kazuo Umezu
1972-1974, Glénat 2004
L'histoire :
Sans explication, un cataclysme frappe l'école élémentaire Yamato, qui se trouve téléportée, avec ses professeurs et ses 800 élèves, de sa banlieue ordinaire dans une univers de cauchemar : une terre stérile, couverte de sable, sans vie ni vestige apparent. Tandis que là où s'élevaient les bâtiments, ne reste plus qu'une fosse béante.
Coupés de leurs parents, de leurs maisons, et sans autres perspectives que la mort sous toutes ses formes, les enfants tentent malgré tout de s'organiser. L'un d'entre eux, Shô, s'affirme comme un leader. Mais quel espoir peuvent-ils encore avoir, quand tout semble perdu, qu'il n'y a apparemment presque ni eau ni nourriture, et que le danger peut venir de partout, y compris du plus innocent des visages : celui de son propre camarade de classe?
Ce que j'en pense :
C'est à cause de sa description dans le livre de Jean-Marie Bouissou, et aussi du billet de l'ami Méta, que ma curiosité s'est portée sur L'Ecole Emportée. Au passage, une fois de plus, merci la médiathèque. Je ne suis pas sorti indemne de la lecture d'une oeuvre aussi forte, et en tous cas je ne vois pas comment on pourrait rester insensible à l'horreur et au désespoir qui remplit chaque page. En même temps, résumer L'Ecole Emportée à un simple manga d'horreur, ce n'est pas lui rendre justice.
Parallèlement à la parution de L'Ecole Emportée, d'autres gekiga traitent de sujets similaires : Les Vents de la Colère (Tatuhiko Yamagami, 1970), qui aborde les thèmes de la pollution industrielle et de la répression policière, et Gen d'Hiroshima (Keiji Nakasawa, 1973-1974), qui aborde frontalement le traumatisme de la bombe atomique et de ses effets sur la société.
L'Ecole Emportée traite de l'apocalypse qui frappe une école et ses enfants, lesquels deviennent une micro-société représentative de l'humanité, à la fois responsable et victime du malheur qui lui arrive. Les enfants, une fois confrontés à la situation de départ, et quasiment débarrassés des adultes, recréent les structures habituelles de la société humaine : famille (les élèves de cm2 deviennent les "parents" des maternelles), politique (création d'un gouvernement et élection d'un premier ministre). Ils reproduisent à l'extrême la violence des rapports familiaux et politiques, jusqu'à la guerre. La gestion des ressources est le problème principal, qui sous-tend tout le reste. Quand à l'environnement, il est une métaphore à la fois de l'apocalypse post-nucléaire (le décor évoque puissamment les ruines d'Hiroshima ou de Nagasaki), et du monde d'aujourd'hui (pollution, raréfaction des ressources, inégalités, etc).
Autre critique, la fin de l'histoire, que je ne révélerai pas, est souvent qualifiée d'expéditive, ou de "facile". Je ne trouve pas. Au contraire, je m'attendais soit à un happy end total, soit à un aboutissement des plus sombres. Mais ça n'est ni l'un ni l'autre. L'Ecole Emportée nous propose une fin ouverte, jetant les bases de ce que peut devenir - ou pas - l'avenir des jeunes héros, devenus des adultes avant l'âge. Pourront-ils y faire face? Les intentions qu'ils manifestent nous questionnent en tant que lecteurs : sommes-nous capables de supporter notre propre condition, de l'accepter, et qu'allons-nous faire pour l'améliorer? Cela sera-t-il seulement possible?
Tant de noirceur serait illisible, sans la possibilité de s'identifier à Shô, le garçon courageux, au coeur sur la main, qui aussi longtemps que possible tentera de sauver ce qui peut l'être. Son caractère bon et altruiste est une étincelle d'humanité à laquelle le lecteur peut s'accrocher. Et ce, avec d'autant plus de réalisme, qu'il traverse les épreuves avec détermination, certes, mais non sans doutes, ni sans angoisse. Shô, c'est nous-mêmes, avec nos forces et nos faiblesses. Et l'image finale, à la dernière page, m'a déchiré le coeur.
En tout cela, L'Ecole Emportée est une oeuvre d'une rare profondeur, et pas seulement un manga de science-fiction ou d'horreur. L'horreur est souvent un simple divertissement (voir le succès du genre), qui a ses codes, ses fans, son langage propre. Ici, l'horreur n'est qu'un moyen. Il ne faut pas s'y arrêter. Et, oui, L'Ecole Emportée est un chef-d'oeuvre, non seulement du manga d'horreur, mais du manga (gekiga ou non) dans son ensemble.
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