On parlera de tragédie grecque, de quête personnelle, très intime. On évoquera les drames que les guerres engendrent, bien après qu’elles se soient terminées. Du pardon, possible ou pas. On dira toute l’importance de la filiation dans la construction d’une personnalité, d’un caractère ou de l’absence de cette filiation. Mais j’ai peur que les mots viennent à manquer pour dire tout ce que ce film raconte sur l’histoire du monde, depuis toujours et que Denis Villeneuve le réalisateur québécois « résume » ( plus de deux heures vous filent entre les yeux ) en un petit condensé de cinéma, bouleversant , impressionnant , totalement imprévisible .
Ici les apparences sont trompeuses, et d’ailleurs totalement pris par le récit, très rapidement le décryptage s’efface pour laisser place à cette aventure humaine, si banale dans son quotidien, si douloureuse dans son acheminement.
La soeur et le frère , au début d'une histoire qu'ils ne pouvaient même pas imaginer
A la mort de leur mère, Simon et Jeanne, frère et sœur, jumeaux ,québécois, apprennent l’existence d’un troisième enfant et celle du père qu’il croyait mort. Si pour le fils ces révélations mettent un point final à l’histoire d’ une mère qui lui paraissait si distante, si étrangère, sa sœur y voit bien au contraire un début d’explication au surprenant silence dans lequel elle s’était enfermée peu avant sa mort. Jeanne part alors à la recherche de la vérité.
Sur un tel canevas, le cinéma a concocté des centaines de films ,mais celui-ci s’en détache par un traitement faussement classique avec notamment une technique de flash-back ahurissante, qui fait que ces retours dans le passé se fondent naturellement dans l’histoire contemporaine. En mettant ses pas dans ceux d’une mère énigmatique, ( Lubna Azabal ) avec une ressemblance troublante, la jeune femme ( Mélissa Désormeaux-Poulin )remonte ainsi le temps et revit de manière très actuelle ce conflit dans une région qui n’est jamais précisément située.
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On pense au Liban (avec ses milices chrétiennes), mais plus généralement c’est le Proche-Orient qui sert de décor à cette tragédie à la fois personnelle et collective, où la guerre une fois de plus est dénoncée à travers ses exactions, ses massacres, ses tortures. Le cinéaste en rapporte quelques exemples de manière quasi clinique, par ellipse, ou très froidement, alors que le reste de son récit est construit sur l’attention à l’autre, la méfiance aussi qu’inspire cette jeune femme en quête d’une mère dont les villageoises ne veulent plus entendre parler. Dans ce pays qui n’est pas le sien Jeanne doit alors affronter sinon des fantômes, (encore que), du moins sa propre histoire, à travers un passé si lourd à supporter que la présence de Simon devient indispensable.
Lubna Azabal, dans le rôle de la mère, extraordinaire
Il la rejoindra, juste pour la ramener à Montréal. Mais une fois sur place lui aussi emboîtera le pas de sa mère, et de sa sœur pour ne former qu’une seule empreinte, que le vent de l’histoire n’effacera jamais.
Il y a trop de choses murmurées qu’il faut maintenant révéler, et dans la confusion des genres si bien dirigée (de la mère ou de la fille, qui suit-on exactement ?) émane comme une sourde explosion. Une vérité totale, mais sans fin, puisqu’elle est à l’image de cette fameuse tragédie grecque, la naissance d’une autre vie, d’une autre vérité.