Il serait dommage de quitter Colette et ses 3 days sans un High Tea versé dans la divine boisson.
Consacrant des pages superbes à son amour pour le vin, Colette dit avoir été très bien élevée, très - NDLR : trop - tôt initiée à la dégustation du vin… :
« J’ai été très bien élevée. Pour preuve première d’une affirmation aussi catégorique, je dirai que je n’avais pas plus de trois ans lorsque mon père me donna à boire un plein verre à liqueur d’un vin mordoré, envoyé de son Midi natal : le muscat de Frontignan.
Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves ! Ce sacre me rendit à jamais digne du vin. Un peu plus tard j’appris à vider mon gobelet de vin chaud, aromatisé de cannelle et de citron, en dînant de châtaignes bouillies. A l’âge où l’on lit à peine, j’épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d’éblouissants yquem. Le champagne passa à son tour, murmure d’écume, perles d’air bondissantes, à travers des banquets d’anniversaire et de première communion, il arrosa les truffes grises de la Puisaye…Bonnes études, d’où je me haussai à l’usage familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des verres étroits, absorbé à gorgées espacées, réfléchies.
C’est entre la onzième et la quinzième année que se parfit un si beau programme éducatif. Ma mère craignait qu’en grandissant je ne prisse les « pâles couleurs ». Une à une elle déterra de leur sable sec, des bouteilles qui vieillissaient sous notre maison, dans une cave – elle est, Dieu merci, intacte – minée à même un bon granit. J’envie, quand j’y pense, la gamine privilégiée que je fus. Pour accompagner au retour de l’école mes en-cas modestes – côtelette, cuisse de poulet froid ou l’un de ces fromages durs, « passés » sous la cendre de bois et qu’on rompt en éclats, comme une vitre, d’un coup de poing – j’eus des château-larose, des château-lafitte, des chambertin et des corton qui avaient échappé, en 70, aux « Prussiens ». Certains vins défaillaient, pâlis et parfumés encore comme la rose morte ; ils reposaient sur une lie de tannin qui teignait la bouteille, mais la plupart gardaient leur ardeur distinguée, leur vertu roborative. Le bon temps !
J’ai tari le plus fin de la cave paternelle, godet à godet, délicatement…Ma mère rebouchait la bouteille entamée, et contemplait sur mes joues la gloire des crus français »
Prisons et paradis, Fayard 1932 (nombreuses rééditions, dont Le Livre de Poche, pp 49-50)
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