Difficile de comprendre comment un tel bijou n'a pas encore trouvé de distributeur ni aux États-Unis ni en France ! Il a pourtant remporté le Prix de la meilleure direction artistique pour un film de fiction au Festival de Sundance 2010.
Le public a beaucoup aimé ce film joyeusement mélancolique que vous n'êtes pas prêts de voir en salle ... sauf miracle.
La lecture du résumé du film n'est pas engageante. Si je vous dis que c'est l'histoire d'un grand timide qui s'est lancé dans la confection d'une encyclopédie des personnes, des technologies et des idées qui sont en voie de disparition, bref de tout ce qui est ou va devenir obsolète, je pense que vous allez estimer que vous n'avez pas perdu grand chose.
Mais si je vous dis qu'il y a une proximité indéniable avec la façon de filmer de Wim Wenders, ou que les personnages ont quelque chose qui aurait retenu l'attention d'Emir Kusturica, alors vous allez commencer à saisir ce qu'il peut y avoir de magique à filmer des abeilles en perdition, un type qui se déplace sur un ballon sauteur en plein désert, une randonnée urbaine à bicyclette, un bric à brac d'objets désuets et pourtant encore en état de marche, un couple chuchotant sous une tente alors qu'il n'y a personne alentour, sauf peut-être un coyote isolé.
La réalisatrice a déjà une grande maitrise des procédés cinématographiques. L'émotion ne passe pas par des effets spéciaux mais par un cadrage habile, intentionnellement décentré , un floutage comparable à la vision qu'on a d'un paysage chauffé à blanc par le soleil, la réminiscence d'airs de musique familiers (a beautiful world sur le générique de début, une sonate à la fin).
Elle balade les deux héros dans le paysage minéral de Zabriskie Point, là où Michelangelo Antonioni a tourné un film éponyme, véritable ode à l'amour fou. Elle y fait surgir l'âne Balthazar, témoin de l'entrée de Marie dans le monde des adultes filmé par Robert Bresson (1966). Elle rappelle qu'Orbis Tertius est une nouvelle de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges. Elle fait aussi référence à la Pseudodoxia Epidemica, l'encyclopédie des idées reçues publiée en 1646 par le Montaigne anglais, Thomas Brown. Il remet en cause les croyances populaires, les déductions fausses, le respect aveugle de l'autorité, et l'influence du diable bien avant que Gustave Flaubert ne fasse de même dans son célèbre dictionnaire "des idées reçues".
S'il est vrai qu'on n'existe que si on aime, la mélancolie peut alors être comprise comme un état provoqué par un amour non partagé. Mais aussi comme une étape, une forme d'apprentissage de la relation comme la toute fin du film le laisse entrevoir. La difficulté à construire un lien social dans une mégalopole où l'on est un étranger (la mère de Georges est australienne, Sophie vient d'arriver à Los Angeles et n'y connait encore personne) est parfaitement réelle. On perçoit mieux le rôle décisif du désert où on se trouve soi-même.
Rien d 'étonnant à ce que conduire une voiture ou dormir sous une tente (à proximité des coyotes) représentent de vrais exploits. Comme celui d'accepter de tomber amoureux, surtout si on est persuadé que l'amour n'est "qu'une protéine".
Diane Tell ne délivre aucune leçon. Elle se contente de nous révéler des choses, comme une plaque sensible laisserait lentement affleurer un paysage. Son film devient une exhortation à la lenteur qui serait le meilleur chemin vers la poésie.
On est dans un cinéma d'auteur, loin du business hollywoodien. Pourtant on ne s'ennuie pas un instant. On sourit beaucoup et on rit aussi.
Notamment un atelier de cuisine moléculaire (entrée libre, sur réservation préalable) samedi 29 janvier à la médiathèque d'Antony auquel je participerai.