Bob, c’est mon père. Bob écoute de la grande musique. C’est lui qui appelle ça de la ‘grande musique’. Les grands airs d’opéra, les grands ensembles, les orchestres ou chorales militaires. Tellement son coeur déborde à l’écoute, ses yeux deviennent plein d’eau. Question de génération, j’ai toujours pensé que le formalisme de l’affaire le touchait tout autant que la dimension purement mélodique de ces fameux airs. Même si je suis trop comme lui, j’avoue que je préfère les petits ensembles, l’informel, l’improvisé - qui en a l’air du moins. Depuis deux ans, j’ai été confronté plus d’une fois au formalisme haïtien. Dans ma petite tête informe, j’ai déjà cru que l’essence existait dans l’expérience, que la forme ne véhicule rien de l’essentiel, que le respect du protocole ne sert ... qu’à respecter le protocole. Qu'à la forme, je préfère le fond. J’ai bien vite saisi, pour ne pas dire senti, l’attachement de tout le monde à se fichu protocole. Que la forme transporte tout de même une âme (ça y est, je deviens animiste !), comme si une dimension intouchable berçait le coeur de tous dans le ‘parfait’, le ‘chorégraphié’, le ‘tout-le monde-habillé-pareil’. Il faut juste sentir une seule fois l’engagement de deux cents timoun de cinq ans costumés comme des gradués d’Harvard, la main sur le coeur, chanter la Dessalinienne... Cette semaine, j’ai participé à une cérémonie de remise de diplômes. Il y avait tout le formalisme qu’il fallait dans la logique haïtienne. Des discours qui suivent des discours. Les salutations officielles qui n’en finissent pas. Il y a également eu Georges (je l’appellerai Georges pour les besoins de la cause). Le président des célébrés, celui qui devait venir livrer le propos de ces 24 collègues aux plus de 100 personnes de l’assistance. Un propos qui touche tout autant le coeur qu’il illumine d’intelligence. Le débit, les silences, les regards vers la salle. J’étais immobile sur ma chaise, une branche de mes lunettes dans la bouche. Dans ma tête circulaient des images de Jean-Louis Millette debout sur une scène de théâtre, celui qui arrivait à jouer sans jouer. Celui qui par la forme, arrivait à toucher le fond. Georges a entre autres lumineusement et solennellement souligné le courage de ses collègues au cours de la dernière année : "Car nul spectacle n’est plus abrutissant que celui combiné, de la déchéance de sa propre nation, de l’effondrement de sa propre demeure, du démantèlement de sa propre famille, de l’incertitude de son propre avenir. La pratique de leur force intérieure m’aura redonné espoir en la vie. Je saisis cette seconde pour les en remercier profondément.» Abrutissant, déchéance, nation, famille, force intérieure, espoir, seconde, remerciement, ... Dans ces trois seules phrases, est résumé tout l’essence de ce que je tente désespérément d’exprimer sur ce blogue depuis des mois. Merci Georges.
Bob, c’est mon père. Bob écoute de la grande musique. C’est lui qui appelle ça de la ‘grande musique’. Les grands airs d’opéra, les grands ensembles, les orchestres ou chorales militaires. Tellement son coeur déborde à l’écoute, ses yeux deviennent plein d’eau. Question de génération, j’ai toujours pensé que le formalisme de l’affaire le touchait tout autant que la dimension purement mélodique de ces fameux airs. Même si je suis trop comme lui, j’avoue que je préfère les petits ensembles, l’informel, l’improvisé - qui en a l’air du moins. Depuis deux ans, j’ai été confronté plus d’une fois au formalisme haïtien. Dans ma petite tête informe, j’ai déjà cru que l’essence existait dans l’expérience, que la forme ne véhicule rien de l’essentiel, que le respect du protocole ne sert ... qu’à respecter le protocole. Qu'à la forme, je préfère le fond. J’ai bien vite saisi, pour ne pas dire senti, l’attachement de tout le monde à se fichu protocole. Que la forme transporte tout de même une âme (ça y est, je deviens animiste !), comme si une dimension intouchable berçait le coeur de tous dans le ‘parfait’, le ‘chorégraphié’, le ‘tout-le monde-habillé-pareil’. Il faut juste sentir une seule fois l’engagement de deux cents timoun de cinq ans costumés comme des gradués d’Harvard, la main sur le coeur, chanter la Dessalinienne... Cette semaine, j’ai participé à une cérémonie de remise de diplômes. Il y avait tout le formalisme qu’il fallait dans la logique haïtienne. Des discours qui suivent des discours. Les salutations officielles qui n’en finissent pas. Il y a également eu Georges (je l’appellerai Georges pour les besoins de la cause). Le président des célébrés, celui qui devait venir livrer le propos de ces 24 collègues aux plus de 100 personnes de l’assistance. Un propos qui touche tout autant le coeur qu’il illumine d’intelligence. Le débit, les silences, les regards vers la salle. J’étais immobile sur ma chaise, une branche de mes lunettes dans la bouche. Dans ma tête circulaient des images de Jean-Louis Millette debout sur une scène de théâtre, celui qui arrivait à jouer sans jouer. Celui qui par la forme, arrivait à toucher le fond. Georges a entre autres lumineusement et solennellement souligné le courage de ses collègues au cours de la dernière année : "Car nul spectacle n’est plus abrutissant que celui combiné, de la déchéance de sa propre nation, de l’effondrement de sa propre demeure, du démantèlement de sa propre famille, de l’incertitude de son propre avenir. La pratique de leur force intérieure m’aura redonné espoir en la vie. Je saisis cette seconde pour les en remercier profondément.» Abrutissant, déchéance, nation, famille, force intérieure, espoir, seconde, remerciement, ... Dans ces trois seules phrases, est résumé tout l’essence de ce que je tente désespérément d’exprimer sur ce blogue depuis des mois. Merci Georges.