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We almost lost Detroit

Publié le 30 janvier 2011 par La Trempe
detroit lost

A Nashville la Country, à Vienne la Valse, à Rio la Bossa, à Lagos l’Afrobeat, à Kingston le Reggae… Reste Détroit. De quelle foutue musique Détroit est-elle donc le nom? Aucune. Ici, pas question d’un genre aux contours précisément définis; plutôt d’un souffle, d’une âme, d’un je-ne-sais-quoi trainant dans l’air, rodant le long des artères de la ville, toujours insaisissable, sournoisement diffus… Un truc toxique en suspension dans l’atmosphère, un air de plutonium en somme. Détroit recouverte de Plutonium? Drôle d’idée tout de même. Mais passons…

Réfléchissez plutôt: quel est le dénominateur commun entre Iggy Pop et ses Stooges, Eminem, Carl Craig, les White Stripes, la Motown ou encore le MC5? Détroit évidemment, cité-fabrique peuplée de white trash au bord de la rupture autant que de niggas à la dérive, tous ratatinés sous le seuil de pauvreté, pataugeant les uns comme les autres dans le même plutonium. D’où une même folie, poussant parfois jusqu’à la sauvagerie, parcourant ces différentes musiques. Qu’importe le flacon, quelque chose d’instable ,quand bien même ce quelque-chose serait recouvert d’une épaisse couche de brillantine (suivez mon regard et ouvrez grand vos oreilles), flotte entre les notes. Au hasard de son Voyage, Bardamu aka Louis-Ferdinand Céline ne s’était pas trompé, décrivant, seul face à l’usine Ford (symbole ultime de Détroit, l’équivalent de notre Tour Eiffel) un « bruit lourd et multiple et sourd de torrent d’appareils, dur, l’entêtement des mécaniques à tourner, rouler, gémir, toujours prêtes à casser et ne cassant jamais ». Motor City, cette ville a un son.

Et abrite au demeurant son lot de tragédies. Ainsi, en 1975, de cette jeune femme retrouvée morte à l’usine -son lieu de travail- dans d’étranges circonstances, probablement des suites d’une intoxication au plutonium (le vrai cette fois-ci…). Du fait divers, Gil Scott-Heron tirera une chanson: « We almost lost Detroit », écrite en 1979. Une façon pour le soul-poet, non originaire du coin, de capter quelque-chose de l’air malsain stagnant dans Détroit? Peut-être bien que oui.

Le titre se présente en effet comme un lent travelling sur les faubourgs d’une ville où personne ne prend plus le temps de songer aux destins des plus démunis, ces dépouillés de la vie. A l’oreille, la chanson a tout d’un long fleuve tranquille; gare cependant à ne pas trop se laisser bercer. Toujours se méfier de l’eau qui dort… Si la voix grave d’Heron nous enveloppe dans un nuage cotonneux, ses mots tendent eux à nous interpeller. Sur « We almost lost Detroit », le maitre du spoken word va crescendo dans la dénonciation de l’absurde jusqu’à nous clouer au pilori au terme d’un final cuivré: « Say didn’t you know? » martèle-t-il de son organe puissant. Câblé sur la détresse des siens, probablement tout aussi paumé qu’eux, Scott-Heron se veut alors le mégaphone de l’Amérique noire, une Amérique présentée de tous temps comme la dernière préoccupation du gouvernement fédéral. Tout cela a bien sur déjà été chanté sur tous les tons, rien de vraiment nouveau… et pourtant, en passant Détroit à la moulinette de son groove excessivement 70′s, GSH – avec l’aide précieuse de Brian Jackson- en fait quelque-chose de neuf. Chanter ce refuge électrique de détraqués du boulon sur un instrumental paisible, c’est en fin de compte le contre-pied parfait. L’assurance, également, de ne point se faire étouffer par son sujet?

Une chose est sûre, l’atmosphère glauque de Détroit sied parfaitement à la protestation, qu’elle soit engourdie comme ici ou furieuse chez d’autres. Le message reste partout le même: de l’air, de l’air… Détroit n’en finit plus de suffoquer.


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