Voilà encore qui s’éteint l’une des étoiles du ciel lyrique de ma jeunesse .
Car la Comtesse à Paris ce n’était ni Janowitz (qui l’a chantée en 1973 et 1980), ni Söderström ou Eda-Pierre , belles chanteuses cependant. Non, la comtesse à Paris, ce fut elle, vraiment pour l’éternité, entourée de Lucia Popp, Gabriel Bacquier, Teresa Berganza: nous les eûmes sur scène, avec des chefs divers, si souvent que cela reste ma distribution des Noces. Elle forma dans Donna Anna avec l’Elvira de Kiri Te Kanawa sous la baguette de Solti (et d’autres ensuite car il ne dirigea que quatre fois) une paire incomparable: je me souviens des commentaires incroyables que ces deux chanteuses occasionnèrent dans la presse, des délires d’applaudissements dans la salle.
Oui, Margaret Price fut une très grande. Une voix pure, très chaude, très ronde, à la technique sans failles, aussi bien dans les notes filées et la “morbidezza” que dans le registre le plus aigu, avec une ductilité dans la voix sans forcer, sans jamais faire dans l’excès. Elle fut aussi avec Solti une Desdemone magnifique aux côtés d’un Domingo débutant depuis peu dans le rôle, à qui l’on prédisait le pire des destins s’il persévérait dans les rôles trop dramatiques (on ignorait sans doute tout ce qu’il avait chanté à Hambourg à ses débuts et on connaît la suite).
Qu’il me soit permis rappler une anecdote souriante dont elle fut la victime. Otello à Paris c’était en 1976, une année de canicule terrible au point que l’orchestre jouait et que le chef (Solti) dirigeait en chemise. On a avait mis de puissants ventilateurs pour que les chanteurs puissent supporter leurs lourds costumes. Lors de la scène finale où Desdemona meurt étranglée, le ventilateur souleva sa robe de manière indécente, et en entrant en scène, Emilia doit crier “Orrore” ce qu’elle fit en rabaissant la robe. Tout le public et les chanteurs se mirent à rire, ce qui évidemment rendit le final un peu décalé…mais Domingo rattrapa en chantant les dernières mesures de manière sublime.
Le répertoire de Margaret Price ne s’est pas limité à Mozart qu’elle chantait à la perfection.
A l’étonnement de tous elle fut l’Isolde de Kleiber, pour l’éternité puisque c’est elle qu’il choisit pour graver le chef d’oeuvre de Wagner, composant avec René Kollo (en difficulté) un couple très discuté, cet enregistrement est l’un des grands must de la discographie, sans doute à cause de Kleiber. mais son Isolde, avec ses moyens et en studio (elle ne risqua jamais Isolde à la scène), est très raffinée, très présente, et au total loin d’être aussi décevante qu’on ne le dit à la sortie du disque en 1981. A réécouter, pour elle, pour Fischer Dieskau, pour Kleiber bien sûr, d’une minutie et d’une vérité époustouflantes.
On le voit, Margaret Price fut une grande, mais toujours discrète (elle s’était retirée en 1999) et
jamais star.Elle était souriante, très chaleureuse, très ouverte et très sympathique. On l’aimait et on l’aimera encore pour longtemps.