J’avoue ne pas être très sensible à la poésie, ni très à l’aise lorsqu’il me faut étudier un poème. C’est sans doute un regrettable défaut. J’entends la musicalité des vers, mais lorsqu’il me faut trouver un sens aux allitérations, assonances et autres figures de style, cela devient mission impossible, sauf bien sûr quand il est évident, comme dans le célèbre « pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes » (Racine, Andromaque) où l’allitération en « s » est censée reproduire le sifflement des serpents. Quant à la poésie moderne, j’ai beaucoup, beaucoup de mal…
Par contre, certains textes poétiques me parlent sans que je sache d’ailleurs exactement pourquoi et à vrai dire, je n’ai pas envie de chercher. Je les aime, voilà tout. C’est le cas du monologue de la lune dans Noces de sang de Garcia Lorca. Je me rappelle avoir découvert cette pièce lorsque j’étais adolescent, et l’avoir vue représenter au théâtre des Célestins à la même époque : la distribution réunissait entre autres Marie-Christine Barrault dans le rôle de la fiancée et Catherine Allégret dans celui de la servante. La dimension tragique de la pièce ne m’avait pas échappé mais j’avais surtout été frappé par l’utilisation récurrente de l’écriture poétique. J’avais même appris par cœur ce monologue de la lune et j’ai longtemps été capable de le réciter de bout en bout. Plus maintenant, hélas…
Le voici, pour ceux qui ne le connaissent pas. Bien sûr, il aurait été préférable de mette le texte en langue originale mais… La traduction est signée Jean Prévost.
La lune intervient au troisième acte alors que le couple adultère est poursuivi par le fiancé décidé à venger son honneur.
La lune est un jeune bûcheron au visage blanc. La scène prend un vif éclat bleu.
Je suis le cygne rond sur l’eau,
La rosace des cathédrales,
Sur les feuilles et les rameaux,
Le mensonge d’une aube pâle
Comment pourraient-ils s’échapper ?
Qui se cache ? Qui va pleurer
Dans les ronces de la vallée ?
La lune abandonne un couteau
Dans l’air de la nuit qu’elle baigne,
Et le couteau guette d’en haut
Pour devenir douleur qui saigne.
Ouvrez-moi ! J’ai froid quand je traîne
Sur les murs et sur les cristaux.
Ouvrez des poitrines humaines
Où je plonge pour avoir chaud.
J’ai froid, et mes cendres faites
Des plus somnolents métaux
Cherchent par monts et par vaux
Un feu qui les brûle à sa crête.
La neige me porte pourtant
Sur son épaule jaspée
Et souvent me tient noyée
Dure et froide, l’eau des étangs.
Mais j’aurai cette nuit
Les joues rouges de sang.
Moi et les joncs unis
Que balance le vent.
Pas d’abri ni d’ombre qui tienne
Pour qu’ils puissent m’échapper :
Je veux une poitrine humaine
Où pouvoir me réchauffer.
J’aurai un cœur pour moi,
Tout chaud, qui jaillira
Sur les monts de ma poitrine…
Laissez-moi entrer, laissez-moi…
Aux branches :
Je ne permets plus les ombres,
Mes rayons auront jeté
Jusqu’au dedans des troncs sombres
Une rumeur de clartés.
Que cette nuit je passe
Le doux sang sur ma face
Et les joncs réunis
Que balance la nuit…
Qui se cache ? Allons-nous en…
Non. Pas d’abri. Leur mort est prête
Je fais briller sur leurs têtes
Une fièvre de diamants.