Un reportage de Heidi Verdonck.
Pendant des années, on n’a eu aucun droit en Tunisie. Mais maintenant que le détesté dictateur Benali est parti, les fenêtres s’ouvrent.
Benali est parti, les fenêtres s’ouvrent.
« Pourrais-tu me ramener le livre sur la femme de Benali, si tu viens en Tunisie? » Il y a deux semaines, une telle question aurait été impensable. Qui éprouvait un intérêt pour la politique faisait bien de le garder pour soi, surtout si ça avait trait au clan Trabelsi, dont faisait partie des membres proéminents telle l’épouse de Benali, Leila. Mieux encore, il valait mieux ne pas prononcer à haute voix le nom de Benali. Son surnom était Tarzan.
Comme les choses sont différentes aujourd’hui. Le live sur le luxueux mode de vie de Leila est entre temps devenu un grand succès.
Caricatures.
Désormais, on a le droit de faire toutes sortes de choses en Tunisie. Les photos de Benali de plusieurs mètres de haut ont disparu du paysage. Dans les kiosques, on trouve des journaux français comme Libération avec des caricatures des ex-gouvernants.
Au café La République dans le quartier populaire Lafayette, tout le monde, du chauffeur de taxi au diplômé de l’université, veut dire ce qu’il pense du régime renversé. Amel, par exemple, propriétaire d’une petit épicerie, raconte comment sa vie était rendue impossible par des agents de police et des fonctionnaires corrompus. « Les choses restent difficiles, mais au moins, maintenant, je n’ai plus à avoir peur d’eux. »
D’après Habib, un homme d’affaires, le système était pourri de part en part. « Ma famille a une grosse entreprise de BTP et on nous étions sans cesse victimes de chantages. Même les investisseurs étrangers étaient sous pression pour « acheter » des permis officiels et pour « vendre » une majorité des actions de leurs entreprises à des officiels corrompus. »
Dans la banlieue du Kram aussi, la vie a changé pour le meilleur. Hajer y habite avec son mari et ses deux enfants, à côté de la maison de ses parents, Aïcha et Lotfi. Le père de Hajer était un modeste marchand de fer qui a travaillé dur toute sa vie pour que sa fille puisse recevoir une bonne éducation. Hajer, 29 ans, elle-même mère de deux petites filles, est biologiste. Elle est maintenant tout juste de retour d’une manifestation sur le campus de l’université. « Des mots comme « citoyen », « manifestations » et « protestations » nous étaient étrangers. Aujourd’hui, tout le monde ici a fait grève contre la dureté des conditions de travail, qui rendent toute recherche impossible. Nos laboratoires sont très obsolètes. Certains d’entre nous doivent se résoudre à partir à l’étranger pour leur recherche. Mais la plupart ne peuvent pas se le permettre. C’est pour ça que nous demandons au gouvernement plus d’argent pour des bourses. Il y a un fort besoin dans ce pays pour du personnel médical et des biologistes. »
Hajer espère que ses filles pourront voyager plus facilement. « J’aimerais leur faire voir Paris, où j’ai étudié pendant six mois. »
Jusqu’à un temps récent, passer la frontière en voiture était un véritable calvaire, à cause de tous les douaniers corrompus.
Interrogatoire.
Autre scène inhabituelle, trois jours plus tôt à l’aéroport de Tunis. Un agent des douanes jette comme à l’accoutumée un coup d’œil sur le livre qu’amène un voyageur. L’ouvrage parle de Leila Trabelsi. En temps normal un cas semblable aurait immédiatement entrainé un interrogatoire ou une inspection des bagages. Mais maintenant, l’agent veut surtout voir un peu ce qu’il y a dans ce livre. Tout en riant, il fait signe au voyageur de passer et lui dit, « bienvenue en Tunisie libre ».