Lorant Deutsch est plus connu comme comédien que comme historien. Pourtant, il se livre ici à une éblouissante cavalcade dans l’histoire de Paris, cœur de l’histoire de France. En interprète professionnel du spectacle, il déroule en 21 chapitres les XXI siècles qui firent la ville capitale. A chaque fois, il prend prétexte d’une station de métro pour faire surgir le passé. Parce que la ville n’est que mémoire, présente à chaque rue, à chaque place, à chaque vestige. Ils sont nombreux, ces restes repris ou englués dans l’aujourd’hui. Occasion pour notre auteur de brosser avec légèreté et d’une langue familière les siècles qui ont passés.
‘Métronome’ se décline en deux versions.
- La première, littéraire, se lit agréablement. Elle ne comprend que des mots mais fait le lien, donne le fil d’événements et replace les vestiges dans le temps, depuis les Gaulois du Ier siècle jusqu’aux tours de verre du XXIe.
- La seconde, venue plus tard d’une demande unanime des lecteurs, est illustrée. Les vestiges encore présents aujourd’hui, le plus souvent cachés aux yeux profanes, sont mis au jour et réévalués. Les cartes, plans et vues permettent de les retrouver aisément, pour une promenade brillante dans le passé.
- Mon conseil ? Si vous êtes lecteurs (ils se font plus rares ces temps-ci), commencez par la fresque historique littéraire, lisez le premier en premier. C’est ensuite avec délices que vous réviserez le récit avec les images du second livre. On y apprend une foule de choses !
Notamment que la Lutèce gauloise était sise probablement à Nanterre, dans la boucle de la Seine où l’on a retrouvé de nombreux vestiges. La Lutèce romaine, appelée officiellement Civitas Parisianii sur les bornes miliaires, s’est installée sur la rive sud de l’île de la Cité, trop exigue pour l’architecture monumentale romaine. Au bord de l’eau, dans la boue et au ras des marais, était la cité basse, la populaire, la gauloise. Lutèce veut d’ailleurs dire cité de boue, ou de marais… Il est évocateur pour la mentalité de constater que l’essor de la ville a été tirée de la fiscalité. Ce sont en effet les droits des rares ponts sur la Seine qui ont permis la richesse, donc le pouvoir, attirant l’Eglise puis les chefs. Faut-il y voir un trait de mentalité qui a traversé les millénaires ?
La première cathédrale de Paris est la crypte Saint-Denis, aujourd’hui sous le parking de l’immeuble privé du 14bis rue Pierre Nicole. Denis fut décapité à Montmartre – dont le nom veut dire mont des martyrs – et a marché six kilomètres en portant sa tête, selon la légende dorée des curés. Il s’est arrêté à Saint-Denis Basilique, aujourd’hui station de métro fort connue et tombeau des rois de France. Bâtie en 1136, la basilique fut la première église gothique de France !
Quant à Saint-Martin, jeune soldat romain qui a partagé son manteau avec un pauvre, il est devenu évêque de Tour avant d’embrasser un lépreux à Paris, en 385. Le malade guérit et le métro donne sa station au saint dont le prénom est devenu le nom de famille le plus courant de France. Sauf que la station a été désaffectée en 1939 et, gérée de nos jours par l’Armée du Salut, sert aux SDF.
Ce sont les Francs qui assiègent Paris à la fin du Vème siècle qui bâtissent le premier Louvre. Le mot vient en effet du germanique loewer, fortin, qui a été élevé face à l’île de la Cité pour l’assiéger. Saint-Cloud est un petit-fils de Clovis qui a échappé au massacre de ses frères par ses oncles avides de prendre le pouvoir, et qui se fit ermite. Notre-Dame fut bâtie longuement, en 107 ans, d’où l’expression devenue proverbe. De même, si le bon roi Dagobert a « mis sa culotte à l’envers », c’est qu’il avait peut-être des amours inverties avec le bon saint Eloi, orfèvre hors pair, trésorier évêque et homme de confiance.
L’école enseigne le-sacre-de-Reims, alors que le premier sacre d’un roi de France s’est effectué à Soisson et qu’il a été double, en 751 par l’évêque, en 754 par le Pape. Pépin, dit le Bref parce qu’il n’était pas haut, venait de déposer le dernier Morovingien fainéant et avait mis au monde le prince Charles (qui deviendra grand, d’où Charlemagne).
En l’an 1200 Philippe Auguste, après avoir ceint Paris de murs épais dont il est passionnant de rechercher aujourd’hui les restes, crée l’université pour faire quitter le savoir au monopole d’Eglise. Il faut dire que celle-ci s’enferme dans le dogme et le repli frileux sur son « identité » : le Pape Honorius III n’a-t-il pas interdit en 1219 aux moines d’étudier la médecine ? Ce serait toucher de trop près au corps, cette pourriture terrestre !
Autre trait de mentalité qui a traversé les siècles : les manifs. Le populo à Paris adore ça. Au XVIème siècle, « la procession demeure, en effet, la plus haute expression de la fidélité religieuse » (p.296). Les religions laïques poursuivent aujourd’hui la foi catholique des ligues : ce ne sont que réaffirmations républicaines, défenses des dogmes sociaux et des prébendes zacquis.
En 1670, Louis XIV qui avait soupé de la Fronde, fit abattre le rempart de Charles V et laisse au sol des boulevards. Le mot vient du hollandais bolewerk, fortif, et de ces « boules vertes » que font les arbres dès le printemps. Les Parisiens aiment à jouer pour inventer des mots de la langue verte. Depuis Louis XIV d’ailleurs, le boulevard Saint-Antoine est le lieux où les artisans pauvres ont le droit de travailler librement, hors des corporations. C’est là que débuteront les émeutes de 1789, sur une baisse du salaire ouvrier prônée par le fabriquant de papiers peints Réveillon. Il y aura 1119 têtes tranchées par le rasoir républicain sur la place dite aujourd’hui de la Concorde.
Au XIXème siècle, si le boulevard du Temple est appelé boulevard du crime, ce n’est pas parce qu’il est un coupe-gorge, mais parce que de nombreux théâtres mettent en scène chaque soir assassinats, empoisonnements et autres petits meurtres entre amis pour le divertissement des bobos de l’époque. Sauf le Cirque d’Hiver et le théâtre de la Porte Saint-Martin, tout cela a disparu sous les coups de pelle du baron Haussmann, qui a aéré Paris de larges avenues anti-émeutes. En 1886, le cabaret du Chat Noir attire les badauds avec un théâtre d’ombres. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, que la mode fait les fortunes à Paris.
C’est le 11 novembre 1920 qu’un soldat inconnu mort au front, tiré au sort à Verdun, est inhumé sous l’Arc de triomphe. Les Champs-Elysées verront nombre de défilés, de la victoire à la marchandise. Sa perspective est prolongée au sicèle XXIème, le nôtre, par une horreur de « mauvais goût » selon l’auteur : « La Grande Arche immaculée, cadre d’un vide sidéral, qui impose son architecture prétentieuse » (p.375). Elle est la porte du quartier des affaires voulu par de Gaulle en 1958 pour faire de la France un pays moderne.
On en apprend des choses en s’amusant, au fil de ce livre !
Lorant Deutsch, Métronome – l’histoire de France au rythme du métro parisien, Michel Lafon, 2009, 380 pages, €17.01
Lorant Deutsch, Greg Soussan, Cyrille Renouvin, Métronome illustré, Michel Lafon, octobre 2010, 239 pages, plus de 500 images, plans d’époque, €23.79