Article paru originellement sur UnMondeLibre.org.
La question des ressources
Une nouvelle page dans l’histoire du plus vaste pays d’Afrique s’ouvre : le Sud-Soudan, en majorité chrétienne et animiste, avec 8 millions d’habitants, va se séparer du Nord d’Omar Al -Bashir, arabe et musulman. Le premier est couvert de végétation et riche en pétrole, le deuxième est en grande partie désertique mais avec le débouché sur la mer.
Les trois-quarts des ressources pétrolières du pays se trouvent dans le Sud mais sont exportées avec les pipelines qui traversent le Nord jusqu’à Port Soudan ; le secteur de l’énergie garantit 45% des revenus du Nord et 98% du Sud. Trouver un accord de coopération est une des questions les plus urgentes. La répartition paritaire actuelle des profits énergétiques (50% à chacun) va changer, comme le Dr. Atabani, conseiller du président Al-Bashir, l’a confirmé : « le partage sera de 70-30 ou 80-20 en faveur du Sud-Soudan car le pétrole appartient à son sol ». Mais le Nord, où se trouve les raffineries et le port pétrolier, va imposer des droits de passage sur les pipelines : un sujet de discorde potentiel.
Même si la négociation sur le partage de la manne pétrolière se déroule sereinement, une telle richesse naturelle pour le sud risque de provoquer le syndrome hollandais, déjà veçu par certains États africains comme le Nigéria et ou le Congo : la forte exploitation du pétrole et l’afflux des rentes dérivées des exportations produisent une appréciation du taux de change réel qui réduit la compétitivité des autres secteurs d’exportation (la culture du coton par exemple). Cette maladie économique empire en présence d’investissements directs étrangers massifs et ici la Chine entre en jeu, soit en qualité d’acheteur que celle d’investisseur, ayant en projet un nouvel oléoduc qui arrivera au Kenya.
Par ailleurs, il y a un risque réel de malédiction des ressources. Les institutions économiques ne sont pas en place, et la rente pétrolière pourrait aiguiser les convoitises de certains, asseoir la mauvaise gouvernance et le maintien d’institutions juridico-économiques défaillantes qui empêcheront le développement d’une des régions les plus sous-développées de la planète.
Le Sud-Soudan devra aussi faire face au défi de l’or bleu du Nil. Le partage actuel essentiellement entre Soudan et Égypte à 87% (55,5 milliards de m³ à l’Égypte et 18,5 au Soudan), est source de contestation de la part de l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Ouganda, le Kenya, et la République démocratique du Congo, concernés par le bassin et qui réclament une répartition plus équitable. Le Sud-Soudan va logiquement demander sa part et peut-être faire des accords avec les autres États, ce que l’Egypte craint. Le projet de centrales hydroélectriques est déjà sur la table pour des tractations avec l’Ouganda : au détriment du flux hydraulique vers le territoire égyptien.
Questions de territoires
La démarcation de la frontière Nord-Sud, dont 20% demeure contestée, est un sujet sensible qui augmente le danger des conflits locaux (notamment à Abyei, le Haut-Nil, et le Unity) : les violences tribales, du fait de l’Armée de résistance du Seigneur et de l’émergence de nouvelles milices, ont fait plus de 900 morts et 215.000 déplacés l’année dernière.
Le pastoralisme nomade, saisonnier et déterminé par les besoins en eau et en plantes fourragères, est déjà source de tensions avec les fermiers sédentaires. La région d’Abyei par exemple, est revendiquée à la fois par la tribu sudiste d’agriculteurs Dinka Ngok et par celle nordiste, pastorale des Misseriya. Les nomades passeront-ils la frontière dans les deux sens sans heurts ?
Enfin, des milliers de Sud-Soudanais qui vivent au Nord vont retourner sur leur terre. La constitution du Sud-Soudan consacre le principe de restitution par rapport à celui de l’occupation : un Sud-Soudanais habitant au Nord qui revient à sa terre ou son habitation a le droit de la récupérer, même s’il y a quelqu’un dans les lieux. Malheureusement, la situation est compliquée par deux facteurs. Ces terres, abandonnées pendant la guerre civile, ont été occupées par des individus très souvent victimes d’autres expulsions. Ensuite, le cadre foncier substantiellement informel rend difficile de prouver les titres légitimes de propriété. Or, 120.000 personnes sont revenues depuis le mois d’octobre et on en attend 250.000 autres d’ici février.
Défis institutionnels
Le Sud-Soudan c’est aussi 85% d’adultes analphabètes, moins de 50 km route goudronnée, un système sanitaire quasi-inexistant (face à l’une des plus importantes épidémies de kala-azar, 75% de la population n’a pas accès aux soins de santé les plus élémentaires). La malnutrition est chronique et, même si la situation globale de la sécurité alimentaire s’est considérablement améliorée en 2010 par rapport à l’année précédente, la hausse des prix alimentaires due à la réduction des flux commerciaux et le retour des rapatriés menacent les progrès accomplis, selon la FAO.
Pour remédier durablement à de tels problèmes, il faut un État « fort » capable de mettre en place un projet courageux, et non des actions exclusivement de soutien. Cela passe par l’établissement d’une infrastructure juridique permettant de poser durablement les conditions du développement. Or, depuis 2005 le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) qui gouverne le Sud-Soudan a peu fait pour le peuple et il n’a pas jeté les bases d’un État de droit, n’a pas développé de normes claires concernant la propriété, ni une justice indépendante. Si les éléments potentiels de conflits et de malédiction des ressources se concrétisaient, l’avenir du Sud-Soudan ne serait pas rose.