Poésie du samedi , 18 (nouvelle série) :
Fait froid, non ? Nous sommes en hiver et il n’y a pas là motif d’étonnement.Nous gagnons pourtant jour après jour de salutaires minutes d’ensoleillement que nous ne percevons guère. Voici un mois en effet que nous avons passé le solstice d’hiver. En cette période de l’année où tout semble sommeiller sous la neige, le gel ou le froid, il n’y a guère qu’un poète pour récolter quelques fruits… Ce poète, c’est Louis Guillaume avec sa belle sensibilité tellurique, son sens de l’image et de la formule concentrée. C’est ainsi qu’il vendange ces belles grappes de l’hiver dont j’aime particulièrement ces deux vers, qui pour moi font écho à l’approche ludique du symbole par Jean Lescure (Poésie du samedi, 15) :
Dans une main ligneuse où les veines sinuent
un bol est prisonnier qui contient le soleil.
Ce sont de telles pépites pétillantes dans le regard du poète qui m’enchantent. On ne s’étonnera pas qu’un poème du même recueil soit dédié à Gaston Bachelard . Mais lisez plutôt :
Les grappes de l’hiver
Les constellations descendent les vallées
Dans le soir qui fléchit sous les cris des chevêches
les grappes de l’hiver brillent comme des baies
où se sont englouties les cités de la nuit.
Chaque ferme s’endort sur la paille et le givre.
Il n’y a plus de lune et les litières fument.
Dans une main ligneuse où les veines sinuent
un bol est prisonnier qui contient le soleil.
Rempli de ciel un chien surveille des puits noirs.
Une femme sourit les doigts joints sur le ventre.
Le silence est meublé par les pierres gélives.
Sur les mares durcies les cailloux sont légers.
Les rêves d’un enfant continuent le voyage
des oiseaux migrateurs qui piquaient les nuages
des arbres qui laissaient des rigoles de vent.
Cheveux défaits du temps le froid se mêle à l’ombre.
L’eau se transforme en roche où l’étoile se mire.
Il n’est qu’une chaleur pour éveiller ces landes.
Depuis toujours l’âne et le bœuf sont sur ses traces
les diamants du sol ont usé leurs sabots
Mais au fond de leurs yeux l’aurore se repose.
Louis Guillaume (Paris, 1907 – Biarritz, 1971) in Etrange Forêt, Librairie Les Lettres, 1953.
Après une enfance passée sur l’île de Bréhat dont son premier recueil (Sones d’Armor, 1928) porte l’empreinte, Louis Guillaume devint enseignant dans la région parisienne avant de se retirer à Biarritz . Ses débuts seront marqués notamment par sa rencontre avec Max Jacob. Auteur prolifique de recueils, il donnera aussi des textes à de nombreuses revues littéraires. En 1966, il se lance durant six mois dans une aventure d’écriture consistant à produire chaque jour un texte, le matin à l’aube. Le résultat de cette entreprise qu’on pourrait dire oulipienne tant la contrainte est forte (à ceci près qu’elle porte sur le poète et non sur le poème !) aboutira à la publication d’une œuvre singulière, logiquement intitulée Agenda. Je n’ai malheureusement pas la faveur d’avoir cet agenda-là sur moi… Mais j’en tire ce dense poème qui parle du solstice et surtout du Silence intérieur et de la réceptivité qu’il permet, trouvé sur le site de l’Association des amis de Louis Guillaume, où l’on peut lire une belle évocation du poète par Jean Rousselot.
Extrait de l’Agenda
Dis encore ce que tu sais
Avec un peu plus de silence
Accumulé. Clame-le
A bouche fermée, afin
Que tous ceux qui le couvent
Comme toi te reconnaissent.
Tiens ta place dans ce chœur
Désert où le bruit fermente,
Attentif et seul. Ecoute :
L’hirondelle poursuit son ombre
Sur les toits à petits cris.
L’été ne sait pas encore
Le solstice près d’éclater.
Nul n’entend soupirer la neige
Sous le bâillon du soleil.
La ville a la gorge remplie
De pierres. L’odeur des foins
Est un arpège. Tends l’oreille.