Le pétrole continue de se déverser dans le delta du Niger, polluant l’eau, tuant les poissons et empoisonnant lentement les habitants de cette région. Il en est ainsi depuis des dizaines d’années.
Les déversements d’hydrocarbures sont le résultat d’un demi-siècle de prospection et d’exploitation de cette région pétrolifère. Ils dévastent la vie des populations locales, tributaires des ressources naturelles pour l’eau potable, la nourriture et les moyens de subsistance, et beaucoup s’inquiètent désormais pour leur avenir.
La controverse enfle quant aux responsabilités. Les habitants montrent du doigt les compagnies pétrolières, dont Shell, et le gouvernement, qui détient près de la moitié de l’industrie pétrolière. Les compagnies et le gouvernement rétorquent que ces déversements sont causés par les actes de sabotage et de vandalisme, les raids armés et les vols de pétrole imputables aux habitants.
Les revendications des populations et des militants du delta du Niger, à savoir la diffusion d’informations, la mise en place de systèmes indépendants chargés de la dépollution et du versement d’indemnités, et l’obligation de rendre des comptes pour les compagnies pétrolières, sont encore pour la plupart ignorées par le gouvernement et rejetées par les compagnies pétrolières, au prétexte qu’elles sont inutiles ou irréalisables.
Il est difficile de croire que, malgré des ravages environnementaux évidents, il n’existe quasiment aucun contrôle indépendant sur la sécurité alimentaire, la qualité de l’eau et les conséquences sur la santé. Les compagnies pétrolières comme Shell ont la mainmise sur le système d’enquêtes relatif aux déversements, ainsi que sur les procédures d’indemnisation, et font preuve d’un manque de transparence qui est à l’origine de nombreux conflits avec les communautés touchées par la pollution et entre elles.
La dépollution est souvent retardée et insuffisante. Les contrôles réglementaires sont au mieux théoriques. Le gouvernement brille par son absence, à l’exception du déploiement d’une force militaire qui protège les activités pétrolières.
Pour bien des habitants, le contraste entre les actions du gouvernement visant à protéger l’industrie pétrolière et la quasi absence de mesures prises pour défendre leurs droits humains renforce le sentiment que le gouvernement prend le parti des compagnies pétrolières, quels que soient les dégâts occasionnés.
Rares sont ceux qui s’attendent à ce que la situation change. L’alliance entre l’État et les compagnies est bien trop puissante. Les profits prennent le pas sur tout le reste, y compris sur les droits des populations.
Dans notre monde de plus en plus globalisé, on assiste à une multiplication d’histoires similaires, les grands groupes transnationaux, puissants, tirant profit de systèmes de règlementations et de contrôles surannés.
En effet, le système actuel s’avère très favorable aux entreprises. Il n’est pas conçu pour leur faire respecter des règles de bonne conduite ni pour faire face à l’évolution inhérente à l’économie mondiale. Ceux qui barrent la voie au développement sont perçus, au mieux, comme une nuisance, au pire, comme une menace.
Certains signes indiquent pourtant que les choses pourraient changer. Un expert des Nations unies a proposé des principes directeurs internationaux encourageant les États et les entreprises à adopter des politiques et des pratiques respectueuses des droits humains. On prend de plus en plus conscience qu’il est important de veiller à impliquer de manière active les personnes affectées par la croissance.
Cependant, ce projet de lignes directrices de l’ONU repose largement sur la bonne volonté. Il compte trop sur les entreprises disposées à coopérer et ne se penche guère sur toutes celles qui sont obnubilées par les profits. Pour assister à un réel changement, il faut substituer aux normes librement consenties des normes contraignantes – c’est fondamental.
Cette semaine, alors que les dirigeant économiques et politiques du monde se rassemblent pour débattre des « Normes partagées pour une nouvelle réalité » dans le cadre du Forum économique mondial à Davos, il faut saisir l’occasion d’opérer ce tournant. Ce forum offre la chance de repenser la manière dont on mesure le succès et de souscrire à de nouvelles règles qui ne prennent pas seulement en compte les profits, mais aussi les hommes et les femmes.
Le véritable test pour les dirigeants réunis à Davos consiste à déterminer s’ils sont disposés à s’engager et à renforcer leur adhésion à leurs propres objectifs partagés, ainsi qu’aux objectifs connexes que propose l’ONU, afin de contribuer à soulager la souffrance de très nombreux citoyens du monde, dont les habitants du delta du Niger.
On ignore si nombre de nos entrepreneurs ont pleinement conscience de l’impact que peuvent avoir leurs activités sur les droits humains, eux qui semblent préférer les mesures « recommandées » ou « encouragées » aux mesures « contraignantes ».
Davos doit inscrire parmi les normes partagées l’obligation pour les entreprises de veiller à ce que leurs activités ne piétinent pas les droits fondamentaux et l’obligation, le cas échéant, de rendre des comptes. Lancer des appels en faveur d’une bonne conduite est loin d’être suffisant. Il convient de promulguer des normes fondamentales.
Les pressions antagonistes d’une économie mondiale en expansion qui requiert des ressources croissantes et d’une population mondiale grandissante ayant besoin de plus d’espace ne sauraient être viables. Sans véritable changement, ni réel engagement, il faut s’attendre à une montée des tensions, des souffrances et des crises.
Alors que les dirigeants du monde se réunissent sur les pentes enneigées des Alpes suisses, la situation dans le delta du Niger souillé par les marées noires connaît une grande avancée : le Parlement néerlandais ouvre une session consacrée à la conduite de Shell dans la région.
Cette audience parlementaire sera peut-être le premier jalon vers la responsabilisation de Shell s’agissant des dommages causés aux habitants du delta.
Il aura fallu plus d’un demi-siècle pour ne serait-ce qu’entrevoir la possibilité d’obtenir justice. Tant de problèmes dans trop de régions du globe nous imposent de ne pas attendre aussi longtemps. Faisons du sommet de Davos l’amorce d’un véritable tournant constructif dans notre conception de ce qui est important.
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Amnesty International :