Lorsque, dans une entreprise, nous avons besoin de réaliser un projet ou de mettre en place un dispositif collectif, plusieurs méthodes, souvent issus de la démarche qualité, circulent : le QQOQCP (Quoi ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi?), les 5M (Matière, Machines, Milieu, Main d’œuvre/Management, Méthodes ; en plus on rajoute parfois « Mesure » ou « Money »), les 5 « Pourquoi ? » (questions en cascade pour remonter à une cause « racine »), etc. Autant de méthodes pour orienter la pensée dans un « brainstorming » entre collègues. En l'occurrence, plus la méthode est simple, mieux c'est, car ces méthodes ne doivent pas enfermer le groupe dans un cadre d'analyse présupposé mais au contraire encourager la créativité.
Si on cherche une forme générale à tous les problèmes qui se posent aux entreprises, on s'aperçoit qu'ils peuvent prendre la forme d'une question ou d'un thème. Exemples : « Que fait mon concurrent en matière de management ? » ; « Comment mes produits sont-ils perçus par mes clients ? » ; « Être plus performant. » ; « Réduire les coûts. » ; « Innover. » ; etc. Cette forme devrait rappeler des souvenirs à beaucoup d'entre nous : c'est la forme des sujets de dissertation de philosophie. Si la méthodologie de la dissertation n'est pas souvent comprise par les élèves dans un cours de philosophie, il y a pourtant une manière simple de résumer la marche à suivre. Cette manière est celle qu'a donné le philosophe René Descartes dans son Discours de la méthode. Descartes propose ainsi une méthode en quatre règles :
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1. « éviter soigneusement la précipitation et la prévention », c'est-à-dire se méfier de ses préjugés, préconceptions, et cadres d'analyses « tout fait », en prenant le temps de douter et d'exprimer son ignorance sur le problème
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2. « diviser chacune des difficultés que j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre », c'est-à-dire découper le problème en plusieurs petits problèmes plus simples, décomposer le problème
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3. « conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés », c'est-à-dire classer les parties du problème général de la plus facile à la moins facile à résoudre et suivre cet ordre dans la résolution de ces parties.
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4. « faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre », c'est-à-dire repasser en revue l'ensemble des petits problèmes classés à l'étape 3, et s'assurer que la chaîne de questionnement est valable logiquement, et que toutes les questions intermédiaires entre la partie la plus simple du problème et le problème général, ont été posées.
De manière très synthétique, on peut résumer cette méthode de la sorte :
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1. Ignorer
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2. Décomposer
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3. Ordonner
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4. Contrôler
Puisque les méthodes pour conduire le raisonnement ont besoin d'être directement compréhensible, j'ai ainsi choisi de synthétiser la méthode de Descartes en méthode « IDOC » (Ignorer, Décomposer, Ordonner, Contrôler). Rajoutons qu'au préalable, l'étape zéro consiste à poser le problème, la question ou le sujet mais que cette étape est en général l’œuvre de la hiérarchie ou du commanditaire en amont du travail d'un groupe de réflexion.
Précisons ces quatre étapes.
Étape 1 : Ignorer
Ignorer consiste à évacuer autant que faire se peut toutes les croyances, préjugés ou autre pré-notions que le groupe de réflexion peut avoir sur le sujet. C'est l'étape du doute. En philo, on appelle cela « problématique », c'est la manière de transformer n'importe quel sujet en problème car en philo rien ne va de soit. Cela doit être la même chose en entreprise. Par exemple, pour réfléchir à la question « Est-ce que l'entreprise va continuer à croître ? », dans un premier temps, ce n'est pas les bons résultats des années précédentes qui doivent guider la réflexion, pas plus que les prévisions économiques du secteur, entendues ici ou là, ce sont des questions, et les plus naïves possibles, du type : « Qu'est-ce que « croître » pour une entreprise ? », « Quels sont les signes qui indiquent qu'une entreprise croît ? », « Quels éléments influencent la croissance d'une entreprise ? » Etc.
Étape 2 : Décomposer
Après s'être rendu compte de son ignorance, le groupe doit décomposer le problème. C'est ce que j'ai anticipé dans l'exemple donné ci-avant : cela consiste à se poser plusieurs petites questions simples qui reprennent un élément du sujet. En suivant l'exemple de la question « Est-ce que l'entreprise va continuer à croître ?, on s'aperçoit qu'il y a l'élément « entreprise », l'élément « croître », l'élément « continuer » et l'élément « va ». Chacun de ces éléments signifie quelque chose de précis : par exemple l'élément « va » indique la notion de direction, de prospective, de futur proche, etc. Le groupe devra donc s'interroger par exemple sur les meilleurs éléments permettant de se projeter dans le futur, notamment pour entreprise.
Étape 3 : Ordonner
L'étape 3 consiste à organiser les questionnements que le groupe s'est posé à l'étape 2. L'idéal est de regrouper plusieurs questions sous une même catégorie afin d'apercevoir les différentes marches à gravir pour répondre au problème initial. Le groupe peut ensuite répondre à chaque question en suivant l'ordre de la question la plus simple à résoudre jusqu'à la plus difficile.
Étape 4 : Contrôler
Enfin, le groupe doit passer en revue l'ensemble du cheminement de sa réflexion de manière à s'assurer qu'il n'y a pas eu de biais logique dans le raisonnement. Cette étape suppose que toutes les questions et le raisonnement du groupe aient été enregistrées et soient donc traçables.
Une fois ces quatre étapes accomplies, le groupe devrait être en mesure d'apporter une réponse au problème général ou à défaut de mettre en place un processus permettant d'y répondre. Mais bien sûr, cette méthode doit encore être testée pour être validée comme pertinente.