Par Anne-Marie Sambuc.
Il peut sembler morbide de parler de la mort.
Pourtant en parler, c’est aussi découvrir des témoignages apaisants, et même parfois drôles. Desproges, lui, a su l’évoquer avec un humour cynique.
Des personnes qui vont mourir et qui apaisent elles-mêmes leur entourage, comme l’écrivain Harold Brodkey, voilà une manière plus douce d’approcher la mort.
Quant à Epicure, n’a-t il pas su en parler de façon rassurante ?
J’ai particulièrement aimé la pièce de théâtre de Daniel Danis « Terre océane », émouvante histoire du chemin d’un enfant vers la mort.
« Un Irlandais ne se laisserait jamais enterrer dans un cimetière anglais, il en crèverait plutôt »
Boris VIAN
« Il faut apprendre à mourir en s’amusant. Il ne faut pas avoir peur de la mort car on ne sait pas ce que c’est. Alors rions. Rions de la présence de la mort pour ne pas en avoir peur »
Leçon tirée de « Le Roi se meurt » par Michel BOUQUET, pièce de théâtre dans laquelle il a joué.
DES HOMMES QUI S’APPROCHENT DE LA MORT
Témoignages
GUIBERT Hervé.- A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie.- Gallimard, 1990
Le Protocole compassionnel.- Gallimard, 1991
L’Homme au chapeau rouge.- Gallimard, 1992
J'ai eu le sida pendant trois mois.
Plus exactement, j'ai cru pendant trois mois que j'étais condamné par cette maladie mortelle qu'on appelle le sida. Or je ne me faisais pas d'idées, j'étais réellement atteint, le test qui
s'était avéré positif en témoignait, ainsi que des analyses qui avaient démontré que mon sang amorçait un processus de faillite. Mais, au bout de trois mois, un hasard extraordinaire me fit
croire, et me donna quasiment l'assurance que je pourrais échapper à cette maladie que tout le monde donnait encore pour incurable.
De même que je n'avais avoué à personne, sauf aux amis qui se comptent sur les doigts d'une main, que j'étais condamné, je n'avouai à personne, sauf à ces quelques amis, que j'allais m'en tirer,
que je serais, par ce hasard extraordinaire, un des premiers survivants au monde de cette maladie inexorable.
BRODKEY Harold.- Histoire de ma mort : ces ténèbres sauvages.- Grasset, 1998
Introspection pour une mort annoncée
L’amour de ses proches et la distance qu’il sait trouver envers la mort permettent au romancier une fin relativement douce.
L’auteur commence son journal lorsqu’il apprend qu’il est atteint du sida. Sa maladie s’est déclarée vingt ans après sa contamination. C’est terrible. Il ne l’accepte pas.
Voici les dernières phrases, très belles, du journal :
« La paix, il n’y en a jamais eu dans le monde. Sue les eaux dociles, pourtant, sous le ciel, désamarré, je voyage et je m’entends rire, d’abord avec nervosité, puis avec une stupéfaction sincère. Je suis entouré de toutes parts. »
Ainsi, il veut nous dire que malgré la peur de la mort, il est en paix avec lui-même.
SINGER Christiane.- Derniers fragments d’un long voyage.- Albin Michel, 2007
Dans ce récit-témoignage, l’auteur exprime les sensations et sentiments des six derniers mois de sa vie.
« On peut bien sûr être malade, cruellement malade pour avoir confirmation de sa malchance et toutes les raisons de se lamenter. Beaucoup vivent la maladie comme une pause douloureuse et malsaine. Mais on peut aussi monter en maladie comme vers un chemin d’initiation, à l’affut des fractures qu’elle opère dans tous les murs qui nous entourent, des brèches qu’elle ouvre vers l’infini. Elle devient alors l’une des plus hautes aventures de vie.
Si tant est que quelqu’un veuille me la disputer, je ne céderais pas ma place pour un empire. D’ici je vois plus loin dans la vie et dans la mort que je n’ai jamais été en mesure de le faire. La vue est imprenable et donne le vertige. »
Ecrivain de sensibilité chrétienne imprégnée de sagesse orientale, Christiane Singer s'abstient de donner des leçons de morale et exclut tout dogmatisme.
Son œuvre et sa réflexion personnelles sont tout entières centrées sur la prise en compte nécessaire du spirituel qui couve dans le cœur de chacun. « Les religions établies sont trop souvent impuissantes à offrir des remèdes adéquats. Il faut tenter de reprendre pied en soi-même, de retrouver ses racines intérieures » (Présentation de l'éditeur)
SEMPRUN Jorge.- L’Ecriture ou la vie.- Gallimard, 1994
Déporté à Buchenwald, Jorge Semprun est libéré par les troupes de Patton, le 11 avril 1945.
L'étudiant du Lycée Henri-IV, le lauréat du concours général de philosophie, le jeune poète qui connaît déjà tous les intellectuels parisiens découvre à Buchenwald ce qui n'est pas donné à ceux
qui n'ont pas connu les camps : vivre sa mort. Un temps, il va croire qu'on peut exorciser la mort par l'écriture. Mais écrire renvoie à la mort. Pour s'arracher à ce cercle vicieux, il sera aidé
par une femme, bien sûr, et peut-être par un objet très prosaïque : le parapluie de Bakounine, conservé à Locarno.
Dans ce tourbillon de la mémoire, mille scènes, mille histoires rendent ce livre sur la mort extrêmement vivant. Semprun aurait pu se contenter d'écrire des souvenirs, ou un document. Mais il a composé une œuvre d'art, où l'on n'oublie jamais que Weimar, la petite ville de Goethe, n'est qu'à quelques pas de Buchenwald.
ZORN Fritz.- Mars.- Gallimard, 1982
Fils d'une famille patricienne de Zurich, celui qui a écrit ce livre sous un pseudonyme fut ce qu'on appelle un enfant bien élevé. Dans la somptueuse ville, au bord du lac, régnait l'entente parfaite. Un certain ennui aussi, qui tient à la bienséance. non sans humour, Zorn nous décrit les petits travers de ses parents. Humour ? Le mot est faible. Disons plutôt une noire ironie, celle du jeune homme qui, découvrant qu'il est atteint du cancer, pense aussitôt : " naturellement. " jamais les contraintes et les tabous qui pèsent, aujourd'hui encore, sur les esprits soi-disant libres n'ont été analysés avec une telle pénétration, dans une écriture volontairement neutre, par celui qui constate ici, très simplement, qu'il a été " éduqué à mort ". Il avait trente-deux ans.
Fictions
MANN Thomas.- Mort à Venise.- Cercle du bibliophile ROMAN
La fascination mortelle que peut exercer la beauté, tel est le sujet de La mort à Venise, ce
chef-d'œuvre d'inspiration très romantique où l'on retrouve l'essentiel de la pensée de Thomas Mann.
Gustav Aschenbach, romancier célèbre et taciturne, voit sa vie bouleversée par la beauté divine et la grâce d'un adolescent. Sous le regard interrogateur du jeune Tadzio, la descente aux abîmes
de ce veuf respectable, dans une Venise au charme maléfique rongée par le choléra, est un des récits les plus troublants de cet immense écrivain.
TOLSTOI .- La Mort d’Ivan Illich.- Gallimard, 1960
La mort représente l’un des thèmes centraux de l’œuvre de Tolstoï. Mais c’est dans ce roman qu’elle apparaît de la manière la plus nue, la plus épurée, libérée de ses artifices romanesques.
Un homme se penchant sur sa vie au moment ultime aura simplement établi la paix avec lui-même et en aura sauvé au moins les derniers instants.
DAGERMAN Stig.- Notre besoin de consolation est impossible à rassasier.- Actes sud, 1981
Depuis la découverte, en 1981, de ce texte où Stig Dagerman, avant de sombrer dans le silence et de se donner la mort, fait une ultime démonstration des pouvoirs secrètement accordés à son écriture, le succès ne s'est jamais démenti. On peut donc parler d'un véritable classique, un de ces écrits brefs dont le temps a cristallisé la transparence et l'inoubliable éclat.
WIJKMARK.- La Nuit qui s’annonce Actes sud, 2009
Dans cette unité de soins palliatifs où deux infirmières, Birgit, la maternelle, et Angela,
l’érotique, veillent de leur mieux sur les agonisants, Hasse n’a que deux consolations : les rêves que lui inspirent les piqûres de morphine et le passage d’un jeune bibliothécaire – car il a
décidé de lire tout ce qu’il peut sur la mort avant de mourir. « La mort, quel gâchis malgré
tout », ironise-t-il. Pourtant, il y a déjà eu tant de morts, dans l’histoire humaine, qu’est-ce qu’un de plus ? Et l’éternité qui l’attend,
n’existait-elle pas déjà avant sa naissance ?…
Dans ce roman sur la mort écrit à la première personne, où l’on croise Cioran, Thomas Mann, les livres des morts égyptien et tibétain, Carl-Henning Wijkmark aborde avec sensibilité, humour et
pudeur, les grandes questions morales et existentielles, qu’il développe en subtiles notations. Il analyse aussi la place de la mort dans nos sociétés, constatant que la technique est désormais
un prétexte aux économies, ou s’étonnant qu’on se soucie si peu de dignité pendant la vie, et qu’on s’en préoccupe tant lorsque la nuit s’annonce…
VOLODINE.- Bardo or not Bardo Seuil, 2004
Présumant que le défunt est obligé par son karma de traverser les quarante-neuf jours du Bardo, et qu'il
doit rencontrer, sur le chemin de la renaissance, de terribles visions et obstacles, un lama lit le Bardo Thödol, le Livre des morts tibétain, pour guider le mort et l'aider à triompher des
dangers qui le menacent.
Voilà le principe. Mais que se passe-t-il lorsque le mort refuse d'écouter les conseils qui lui sont prodigués ? Ou lorsque l'existence dans le Bardo lui plaît au point qu'il ne veuille plus en
sortir ? Ou lorsque le lama, au lieu de réciter le texte sacré, se met à lire à haute voix un livre de cuisine et des poèmes ? Que se passe-t-il quand au monde des mystiques se superpose le monde
des fous, des révolutionnaires ratés, des imbéciles et des sous-hommes ? L'écrivain et acteur Bogdan Schlumm, dans une solitude psychiatrique semblable à celle de l'espace noir, tente de mettre
en scène les réponses à ces questions.
Personne ne l'écoute. Les arbres l'entourent, les oiseaux lui fientent dessus. Il est très seul.
YALOM Irvin.- Apprendre à mourir : la méthode Schopenhauer.- Galaade, 2005
« -Mais la mort est toujours là. Elle est l’horizon de toutes ces angoisses. Socrate est très clair là-dessus : « Pour apprendre à bien vivre, il faut d’abord apprendre à bien mourir. » Ou encore Sénèque : « Nul autre n’apprécie le vrai goût de la vie que l’homme disposé et prêt à la quitter. »
Schopenhauer : « Après votre mort, vous serez ce que vous étiez avant votre naissance. »
« Et quelle est la chose la plus terrible après l’ennui ? Pourquoi nous empressons nous de le conjurer ?
Mais parce que c’est un état qui n’offre aucune distraction, qui nous révèle très vite des vérités profondes et fort peu agréables sur notre existence : notre insignifiance, notre vie absurde, notre marche inexorable vers la détérioration et la mort.
Par conséquent, qu’est-ce que la vie, sinon un cycle sans fin de désir, de satisfaction, d’ennui et enfin de désir à nouveau ? Est-ce vrai pour toutes les formes de vie ? Pour Schopenhauer, la situation est encore pire dans le cas des êtres humains car plus l’intelligence est développée, plus la souffrance est intense. »
Ce roman qui met en scène une thérapie de groupe aborde des questions existentielles, en particulier l’approche de la mort. Il est passionnant car il fait vivre au lecteur, à travers un groupe et des caractères humains, un microcosme de la communauté humaine.
MISHIMA .- La Mort en été : nouvelles.- Gallimard, 1983
Recueil de nouvelles contenant celle du même nom, La Mort en Eté, racontant cette horrible histoire de deux fillettes qui se noient dans la mer, en plein été, en plein soleil (le titre japonais, , Manatsu no Shi se traduirait exactement mort en plein été), est troublant par l'impassibilité du style, et la puissance du soleil et de la mer qui s'en dégage. Car Mishima est un artiste des textures, mais également des forces de la nature.
SARAMAGO José Les Intermittences de la mort.- Seuil, 2008
Dans un pays inconnu, plus personne ne meurt. Les hôpitaux regorgent de malades, les entreprises de pompes funèbres et les compagnies d'assurance font faillite, les familles conduisent les membres les plus encombrants aux frontières, l'église est menacée de disparition : sans mort, pas de purgatoire, de paradis ni d'enfer. Mais un beau jour la mort revient sauver les hommes.
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