Satan à Goray / Isaac Bashevis Singer (Eds. Stock, 227 p., 18,50€)
Par Julienne.
L’histoire se déroule vers 1681 dans une petite ville de Pologne où vit une importante communauté juive composée de commerçants et d’artisans à coté de paysans catholiques, sous la férule du seigneur des lieux.
En 1665, Des bandes guerrières, dirigées par le chef ukrainien Boogdan CHMIELNICKI, composées de cosaques et de paysans révoltés, ont attaqué et massacré la communauté juive qui a du fuir et s’exiler durant plusieurs années.
La paix revenue, les survivants juifs traumatisés par les violences et les pertes, tentent de se réinstaller dans leurs maisons sous la houlette du rabbin Rabbi Benish.
Le Rabbi Benish, bien qu’éprouvé par l’exil, est instruit, sage et tolérant mais il entend respecter autant que possible les textes sacrés et les préceptes du judaïsme.
Les violences et les souffrances subies ont profondément déstabilisé la population, ébranlé la foi et les convictions habituelles, préparant la place à de nouvelles croyances au caractère magique et facile.
En effet, on parle d’un messie auto proclamé : Sabbatai Zevi qui ramènerait sous peu le peuple juif en Palestine.
Le rabbin Benish tente de luter contre ces illusions de consolation et de revanche, qu’il sait vaines et dangereuses, mais ce n’est pas facile car les jeunes sont les plus avides de solutions radicales et magiques.
« Les jeunes, troublés par les détours et les subtilités du pilpoul (discussion sur les éléments de la doctrine juive issue du talmud), essayaient de résoudre mille questions avec une seule réponse et dédaignaient en parlant « d’enfantillage », la tradition. »
Des fidèles du nouveau messie Zevi arrivent en ville ; le premier est Reb Itche Mates, vagabond ascétique mais charismatique qui regroupe autour de lui les crédules et les ennemis du rabbin Benish adeptes de la cabale, dont ses propres fils .
Il se marie à Rechele, une belle et jeune orpheline devenue folle, durant l’exil, à cause de l’éducation mortifère anxiogène et ultra religieuse prodiguée par les parents qui l’avait recueilli.
Les prescriptions religieuses de Reb Itche Mates sont sévères, contraignantes et auto punitives. Après son départ pour propager la nouvelle croyance en Sabbatai Zevi, il est avantageusement remplacé par un autre fidèle du messie, le sacrificateur rituel : Reb Gedaliya qui au contraire est beaucoup plus avenant et prône la liberté, l’affranchissement des règles et coutumes anciennes au motif que le retour en Palestine est imminent.
Il incite ses coreligionnaires à délaisser le travail et à se consacrer aux plaisirs de la table et de la chair puisqu’ils devront quitter leurs maisons bientôt.
Cette philosophie pratiquement hédoniste et expurgée des règles religieuses contraignantes, séduit la population qui cesse d’observer les rituels et se livre en toute innocence à la paresse et à tous les excès.
« A GORAY on vivait comme dans un réve.Tout les deux ou trois jours on célébrait un nouveau mariage. En outre,Reb Gedalya et Levi avait libéré de tout liens les femmes abandonnées par leurs mari et celles-ci ne perdaient pas de temps pour s’en trouver un nouveau .
D’après les calculs de Reb G edaliya ,la corne du bélier devait annoncer la venue du messie au milieu du mois d’Elul et trois jours avant Roch Achana, un nuage descendrait du ciel.Tous les juifs pieux y prendraient place et partiraient pour ma terre d’Israël. »
Hélas le nuage ne descendra pas et pour couronner le tout, le supposé messie Sabbatai Zevi, honte suprême, s’est converti à l’Islam.
Les malheureux fidèles se retrouvent sans provisions ni combustibles pour passer l’hiver le plus rude qui soit, avec en prime le sentiment amer de s’être fait avoir, en effet
Reb Gedalya n’est-il pas inspiré par Satan ?
Traduit du Yddish, dans un style assez neutre mais clair et descriptif, ce roman est très facile et plaisant à lire.
On se trouve plongé en plein moyen age, dans un univers ou l’irrationnel, la magie, la cruauté, la violence la plus extrême sont monnaie courante, il apparaît clairement que l’époque n’était pas très douce en général et spécialement pour les victimes et les faibles.
Le récit met en évidence le rôle structurant de la religion dans les relations sociales mais il montre aussi comment une croyance, dans certaines circonstances peut basculer dans la folie la plus pure et la plus destructrice.
Comment combattre l’irrationalité essentielle de l’homme ? Le vieux et sage rabbin, Rabbi Benish, roué de coups par ses adversaires, a jeté l’éponge, il n’est pas prudent d’avoir raison contre tous.
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