Bordel militaire de campagne 232 Est

Elle avait les yeux verts / Arnost LUSTIG (Eds. Galaade, 474 p., 23€)

Dans l'univers de la prostitution contrainte au sein de la Wehrmacht, ce roman-témoignage émerge de la lourde mémoire d'une femme anéantie.

Par une entrée brutale dans le monde des prostituées, le lecteur de ce roman, histoire véridique, est projeté dans des cellules, chambres glacées. Dans le bordel de la Wehrmacht, le poêle de chaque cellule est allumé uniquement lorsqu'un soldat entre. Dans des tenues très légères, les femmes cassent la glace pour avoir de l'eau, balaient la cour gelée. Elles subissent les coups de la matrone, sous les ordres des supérieurs militaires. Très peu nourries, elles ont d'autant plus froid. Ce sont des prisonnières étrangères, mais en aucun cas des juives. Un nazi ne coucherait pas avec une juive !

Et pourtant, Hanka Kauderscka, dite Fine, juive tchèque, s'est infiltrée. Elle a réussi à dissimuler son identité. Très jeune, elle possède une détermination inébranlable pour survivre.

L'auteur, qui vraisemblablement la connaît, raconte in extenso deux journées de prostitution avec deux officiers nazis. L'atmosphère est si lourde que le lecteur doit faire des pauses, afin de supporter le déroulement de ces moments. On souffre avec Fine, qui subit sans broncher ; elle a si peur de se dévoiler. Malgré la violence inouïe des propos nazis, elle ne peut répliquer. Elle se tait constamment, par peur de ne pas pouvoir maîtriser ses paroles.

Elle doit se soumettre totalement aux désirs des soldats. L'enchaînement des nombreuses passes est dit en un petit paragraphe qui se glisse comme leitmotiv au fil du récit : " Douze " Suivent les noms des soldats subis dans une journée.

Dans une deuxième partie, nous assistons à son retour à la liberté. Fine revient brisée mais si forte. L'auteur raconte à la première personne la tendresse et l'amour qu'il éprouve pour elle.

Elle, détruite, n'est plus capable de vivre une rencontre amoureuse. L'amour charnel n'est plus possible pour elle. Des cauchemars de retour en captivité la poursuivent. Son corps si méprisé, nié par les nazis, elle ne peut plus l'endurer. Elle garde toujours sur le ventre le tatouage " prostituée "

" Forte, mais à bout de force. Elle était comme nous tous : malade d'un mal incurable, qui n'empêchait pas de vivre.[...] Elle ne voulait pas ne penser qu'à ce qu'elle avait perdu " .

" Tu sais ce dont je ne reviens pas ? Que j'aie accepté toutes ces morts, même celle de mes plus proches, comme si cela allait de soi. Ton frère disparaît et pour toi c'est normal, comme le samedi suit le vendredi [...]

" Comment a-t on pu être tellement dur, indifférent, cynique, je ne sais pas moi... ? [...]

" Alors quelqu'un meurt, même la personne que tu aimes le plus au monde, et tu passes outre. Quoiqu'il arrive, tu passes outre " .Elle a vu son père se jeter sur les barbelés électrifiés, sa mère et son jeune frère conduits à la chambre à gaz.

" Fine avait toujours des yeux aussi bien derrière que devant [...] Elle était comme une barque voguant dans une mer inconnue, sur un trajet qui la menait d'une nuit qu'elle était seule à connaître vers la lumière commune. "

Il s'agit là d'un témoignage de survie extrême. Que ce soit pendant sa captivité ou après son évasion, l'héroïne vit un écartèlement continuel. Un récit poignant.

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