Depuis maintes années (Michel-Ange)

Par Arbrealettres


Depuis maintes années cent fois je fus
brisé, vaincu, puis blessé et tué
par toi, de ma faute ; or, le chef chenu,
vais-je encor me fier à tes sottes promesses ?

Que de fois as-tu lié, que de fois dénoué
mes pauvres membres, et tant piqué mon flanc
qu’à peine en moi-même je puis rentrer,
baignant ma poitrine d’un flot de larmes.

Je te parle, Amour, de toi je me plains,
libéré de tes leurres : à quelle fin
prendre l’arc cruel et tirer en vain?
C’est honte d’offrir à la scie, aux vers
un bois calciné, ou courir après
qui a perdu la souplesse et l’élan.

Mes yeux ont ouvert l’huis à mon venin,
quand aux âpres dards livrèrent passage.
Nid et refuge ai offert aux doux regards
en ma mémoire, que rien n’effacera.

Endure est mon coeur, et mon sein soufflet
pour forger les soupirs dont tu me brûles.

(Michel-Ange)