Le 26 janvier dernier, PAN Europe et Générations Futures ont publié un tout nouveau rapport sur les moyens détournés utilisés par les Etats Membres pour contourner la législation européenne sur l’autorisation des pesticides. Traitant de la question des dérogations accordées dans le cadre de la législation européenne sur les pesticides, ce rapport met en exergue comment quelques Etats Membres, pour satisfaire les demandes de certains industriels et syndicats agricoles, parviennent à détourner l’esprit de la loi. La France est clairement le champion européen de ces moyens détournés d’obtenir l’autorisation d’utilisation de pesticides, passant de 0 dérogations en 2007 à 74 en 2010 !
- Rappel de la réglementation
La Directive 91/414 prévoit la possibilité d’une dérogation pour l’utilisation d’un pesticide non autorisé pendant 120 jours en cas de « danger imprévisible qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens. » (Art 8.4, la procédure est régie par l’article 19). L’usage doit être en outre limité et contrôlé. PAN Europe a analysé l’utilisation de cette dérogation durant ces 4 dernières années et a observé une explosion de son utilisation.
- Des chiffres affligeants
Les dérogations accordées par les Etats membres ont explosé ces dernières années. En 2007, seulement 59 dérogations de ce type ont été accordées dans l’Union alors qu’en 2010, ce sont 321 dérogations de 120 jours qui ont été accordées, soit une augmentation de 500%. Dans le même temps le nombre d’Etats membres accordant de telles dérogations est passé de 15 à 24 pendant les quatre dernières années. Le Luxembourg, l’Estonie et Malte sont maintenant les seuls pays à ne pas accorder de telles dérogations.
Le rapport montre que la France est championne d’Europe des dérogations permettant le recours à des usages de pesticides interdits. La Grèce, qui est passée dans le même temps de 6 à 54 dérogations, lui dispute ce titre, suivie de près par le Portugal passé de 1 à 31 en 2010 et Chypre, passé de 0 à 18 en 2010. L’Allemagne a aussi augmenté ses dérogations, de 10 en 2007 à 24 en 2010, pour des raisons inconnues.
- Un constat inquiétant et injustifié
Les dérogations accordées concernent parfois des pesticides peu toxiques, comme dans le cas de produits agréés en Agriculture Biologique (AB) ou utilisés pour la lutte biologique. Mais, dans la vaste majorité des cas, ce sont des pesticides de synthèse avec un profil environnemental et sanitaire dangereux qui ont reçu une dérogation.
Aussi, nombre des pesticides ayant reçus des dérogations d’usage sont dangereux pour l’homme et l’environnement : des produits de fumigation des sols, des composés organochlorés, des néonicotinoïdes (soupçonnés d’être dangereux pour les abeilles). Les associations considèrent que les demandes du monde agricole pour des usages de produits dangereux passent avant la protection des hommes et de l’environnement.
Au regard du texte de loi qui restreint l’autorisation de ces fameuses dérogations à des cas de « danger imprévisible », il est très improbable que ce critère soit respecté.
En 4 ans, de nombreux Etats membres ont subitement déclaré de longues listes de dangers imprévisibles rendant ces déclarations très suspectes. La France illustre parfaitement le problème avec à son actif 74 dérogations en 2010 versus 0 en 2007, ce qui nous laisse clairement penser à une utilisation détournée de cette dérogation. En effet, ces produits sont liés à des rotations courtes, souvent des monocultures dont les ravageurs spécifiques sont parfaitement connus. Ce type de dérogation permet juste de continuer ces mauvaises pratiques agronomiques sans rotation alors qu’une alternative existe : mettre en place une rotation des cultures.
- Des préconisations pour le Comité permanent
Le Comité de la chaîne alimentaire et de la santé animale doit sérieusement redéfinir les conditions de recours à cette dérogation et mettre tout en oeuvre pour les limiter à l’avenir.
Trois préconisations sont ainsi mises en avant dans ce rapport :
- La transparence
Le Comité permanent doit tenir des réunions ouvertes et doit publier les documents de réunion. Chaque Etat membre voulant demander une dérogation dans le cadre de cette directive devrait publier un dossier avec tous les éléments de justification et prévoir une période de commentaires pour les parties prenantes. La Commission devrait soumettre une proposition équilibrée au Comité permanent et organiser une discussion ouverte pendant la réunion. Ainsi les exigences de la Directive seraient pleinement respectées.
- Le contrôle
Les Etats membres utilisant la dérogation de 120 jours de manière abusive devraient être particulièrement surveillés. Les rappels de la Commission ne semblent pas suffisants. Le rapport de PAN Europe préconise une vérification de toutes les dérogations accordées en 2010 au regard des exigences des articles 8.4 et 19 de la Directive.
- Le respect
La directive mentionne que « l’objectif d’améliorer la production végétale ne doit pas porter préjudice à la protection de la santé humaine et animale et de l’environnement ». De ce fait, il paraît justifié de confier la coordination de cette politique aux Ministères de la Santé et de l’Environnement plutôt qu’aux Ministères de l’Agriculture qui servent les intérêts des agriculteurs leur garantissant un taux de production satisfaisant rendu possible par l’utilisation de pesticides.
- Avis de Sequovia
La situation est dangereuse au regard du caractère obligatoire que prendra la Directive relative à la Protection Intégrée des Cultures à l’horizon 2014. De même que ces pratiques d’échappatoires retardent la nécessaire adaptation de l’agriculture aux exigences sociétales modernes et inévitables de respect de l’environnement et de la santé en retardant l’émergence de pratiques plus durables.