Squelettes et passe-murailles

Publié le 28 janvier 2011 par Fuzzyraptor

Le 9 décembre dernier, je traversais le Pont des Arts en évitant les plaques de glace et me dirigeais vers l’Académie des sciences. Au programme : la présentation d’un numéro spécial « Palévol » des compte-rendus de l’Académie (1) sur l’utilisation de la 3D en paléontologie et paléoanthropologie. L’institution avait fait les choses en grand : invitation de plusieurs journalistes, goûter, et surtout présence des académiciens Jean Dercourt et Philippe Taquet (également paléontologue et auteur), du dessinateur scientifiqueDidier Geffard-Kuriyama, du paléontologue Gaël Clément et du paléoanthropologue Antoine Balzeau. Tous ont présenté leurs activités ou les avancées de la 3D dans leurs disciplines. Rien de révolutionnaire donc, mais un état des lieux très intéressant.


Pour constituer cet imposant ouvrage (216 pages), D. Geffard-Kuriyama et G. Clément ont fédéré 20 contributions scientifiques indépendantes de 85 auteurs de 13 nationalités, dont la plupart sont âgés entre 30-40 ans. Le résultat est une revue pluridisciplinaire (paléontologie, paléoanthropologie, archéologie, biologie), qui évoque de nombreux objets d’étude du micron au mètre (plantes, invertébrés, vertébrés, homme…), depuis – 400 millions d’années jusqu’à aujourd’hui.

Les nouveaux passe-murailles

Philippe Taquet y signe un article de synthèse intitulé « L’imagerie 3D appliquée à la paléontologie et la paléoanthropologie : les nouveaux passe-murailles », en hommage à la nouvelle de Marcel Aymé (1943). Il y fait un détour historique du côté de l’anatomie comparée et de Cuvier, qui préparait le « squelette de nombreux poissons en désarticulant les os du crâne » afin d’en comprendre l’agencement. Une technique que les paléontologues ne peuvent pas imiter, eux dont les organismes étudiés sont enchâssés dans des gangues de pierre et donc souvent inaccessibles à la vue (notamment les parties internes).

Il se souvient, avec Jean Decourt, du professeur Jean-Pierre Lehman (MNHN), qui a introduit en France une nouvelle technique. Il découpait avec une scie diamantée de minces pellicules de fossiles de poissons pour les photographier et reconstituer un modèle en cire. Nouvelle technique précise, certes, mais terriblement longue (un à deux ans pour la reconstitution) et surtout destructrice, tout comme l’usage d’acides pour dissoudre la roche autour des fossiles.


L’apparition des rayons X en 1895 (néanmoins peu précis), puis leur couplage avec l’ordinateur (« computed tomography ») à partir des années 1970 ont «  permis une véritable révolution dans l’examen du vivant. L’ordinateur est capable de restituer l’ensemble d’un organisme qui a été balayé plan après plan par les faisceaux de rayon X et d’en proposer une image virtuelle en trois dimensions ». La fin de son article est une liste des structures rendues visibles (tracé des nerfs et des vaisseaux, forme de la cavité cérébrale, contours et limites de chaque os…) et de techniques (tomographie à haute résolution, rayonnement X synchrotron en contraste de phase, numérisation surfacique).

Du citron au dinosaure

D’après Gaël Clément, « quand le public voit un fossile, il pense que c’est un « fantôme » grossier de l’animal. Pourtant, un fossile n’est pas un moulage, car chaque élément de l’animal est conservé, par exemple la dentine ou les os très fins de l’endocrâne ». Et le chercheur de donner plusieurs exemples développés dans l’ouvrage. Les coupes virtuelles d’un citron carbonisé de 2700 ans ont permis de déterminer les voix de commerce du citron autour de la méditerranée dans l’Antiquité. Des fossiles de chimères de 340 millions d’années complètement écrasés ont pu être dégagés virtuellement, redressés et moulés en 3D grâce à une imprimante spéciale. La visualisation d’un placoderme de 400 millions d’années a permis de mettre en évidence des structures fossiles cachées et impossible à préparer au microscope, comme un fin réseau neurovasculaire.


Des insectes piégés dans de l’ambre fossile opaque ont pu être visualisés grâce au synchrotron de Grenoble (larve de coléoptère de moins d’un millimètre, araignée de 500 microns… tout un bestiaire effrayant digne de la science-fiction). La numérisation permet de comparer l’anatomie des fossiles avec les animaux actuels (par ex. crânes de requins) ou d’analyser des complexes anatomiques comme la morphologie de l’oreille interne à la transition entre les dinosaures et les oiseaux (audition, équilibre, locomotion…). Les ordinateurs permettent également de modéliser des contraintes mécaniques, comme les forces appliquées sur les poignets des grands vertébrés (éléphants). Les muséologues s’intéressent également à ces études pour pouvoir reconstituer les squelettes de manière la plus réaliste possible. Dernier exemple, et non des moindres : la « renaissance » des organismes fossiles par images de synthèse (muscles, peau, locomotion…) pour des films de fiction ou de vulgarisation.

La 3D : un coût, une conservation, le partage

Au-delà des prouesses techniques, plusieurs éléments ont attiré mon attention lors de cette conférence. Le premier est le coût de ces acquisitions : 500 euros pour la tomographie d’un spécimen moyen, selon Gaël Clément ! De plus, les appareils, comme le synchrotron de Grenoble, ne sont pas accessibles librement. « Il faut envoyer un projet de recherche à une commission pour qu’elle détermine si les chercheurs ont droit à un certain temps de faisceau ». Le synchrotron de Saclay a carrément dédié une de ses « lignes » aux matériaux anciens (mais n’en est pas moins surbooké). Quant au Muséum national d’Histoire naturelle, il a d’or et déjà lancé une politique d’acquisition d’appareils, mutualisés à l’ensemble de ses collections.


Le second élément est celui de la conservation de ces données numérisées. A priori, les données brutes doivent toujours accompagner l’holotype (l’objet numérisé), le modèle virtuel et la réplique 3D (parfois plusieurs fois plus grande que l’holotype). Il va sans doute falloir agrandir les étagères des muséums, déjà bien remplies (60 millions de spécimens dans celui de Paris) sans parler des serveurs ! Selon Gaël Clément, « les responsables de collection donnent en priorité leurs spécimens les plus importants ou rares » mais il reste difficile de « choisir certains spécimens car souvent, le paléontologue ne sait pas ce qu’il va trouver à l’intérieur » nuance Didier Geffard-Kuriyama.

Autre point sur lequel il serait intéressant d’avoir un retour de chercheurs, blogueurs ou journalistes : la disponibilité des données pour les chercheurs n’ayant pas participé à l’étude. Autant le dire tout de suite, les participants que j’ai interrogés ne connaissent absolument pas la licence creative commons et les données n’ont pas l’air de circuler librement dans le monde de la recherche. « Historiquement, les fossiles humains sont rares et jalousement gardés, tout comme leur numérisation, indique Antoine Balzeau, mais les choses évoluent et les paléoanthropologues commencent à partager des informations plus librement comme dans le cas de l’homme de Florès ». Au-delà du monde de la recherche, Philippe Taquet a également suggéré que ces données puissent être fournies aux pays émergents, « dont une partie de leur patrimoine qui se trouve dans nos muséums » et pourquoi pas au grand public, on peut toujours rêver…

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Note

  1. Les compte-rendus de l’Académie existent depuis 1835. En 2002 ont été créées sept séries thématiques : mathématiques, mécanique, physique, géosciences, palévol, chimie et biologie.