Oh brave new world ! (5)

Publié le 28 janvier 2011 par Jlhuss
[épisodes précédents]

Des scientifiques affirment que des thérapies géniques pourraient « soigner » la vieillesse, certains (pas tous scientifiques)  prétendent même que l’immortalité serait à la portée de l’espèce humaine…

Opération Mathusalem
ou
L’éternité c’est long, surtout quand ça n’a pas de fin.

Plus que quelques minutes et tout sera terminé ! Enfin !
Comment je ne sais pas ce que je veux ?
Si, je sais ! Depuis le temps ! Six cent dix sept mille cinq cent vingt huit ans, sept mois et huit jours ! J’ai vérifié hier ! D’accord, c’était inutile, mais bon ça m’a toujours fait passer deux heures !
Oui, je parle tout seul ! Normal, il n’y a plus que moi ! Les autres ont tous trouvé un moyen pour partir !
J’ai tout essayé pourtant, en commençant par le plus simple : pendaison, noyade, cyanure et saut dans le vide  (incroyable l’impression ressentie, la première fois où l’on se jette du haut de l’Empire State, après, c’est comme le reste, même en changeant de tremplin, on finit par se lasser et la dix millième fois – c’était dans la Cordillère des Andes- pas une émotion, pas un milligramme d’adrénaline, rien, l’ennui comme d’hab…).

Je passe sur la suite, c’est trop déprimant. Tout ça parce que mon vitalassistant était une réussite. Saloperie de robot : indestructible, autonome et pire que tout, performant ! Pour donner une idée, il m’a reconstitué après une combustion presque complète dans le Vésuve et quand je me suis fait pulvériser, façon puzzle, par une torpille récupérée dans des fouilles de l’ancien Empire, dix minutes après, j’étais comme neuf. Rien ne manquait, y compris les souvenirs TOUS ! Au grand complet ! ET ça c’est le pire ! Etre interdit d’oubli !
Pourquoi ? Parce que plus rien ne peut vous étonner ! Vous avez tout vu, tout vécu, tout senti et vous êtes obligés de recommencer, encore et encore et encore. Un exemple au hasard : Dans l’antiquité, un écrivaillon quelconque avait commis un bouquin qui s’appelait « L’ennui et sa diversion l’érotisme » Diversion tu parles ! Quand tu dépasses les mille deux cent cinquante ans la diversion a bonne mine.
Vous me direz, il y a la science, la littérature, la philosophie… Ben tiens donc ! Quand on les a remâchés pour la soixante millième fois, croyez-moi, les fruits de l’arbre de la connaissance ça n’a plus ni goût ni gounasse !
Voilà ce que c’est que d’oublier de réfléchir quand il est encore temps. Faut dire que, vu de loin, le programme du bon docteur Sygfride Mathusalem était tentant.  Un peu cher, mais tentant : Une petite manipulation génique et hop ! tu cessais définitivement de vieillir. En même temps on te sculptait un corps et un visage de rêve et, pour parer à tout incident, on te fournissait un vitalassistant, une merveilleuse petite machine veillant sur toi en permanence, un ange gardien technologique, performant, j’ai déjà dit et, en plus, discret vu que la plupart du temps il est invisible et qu’il ne se matérialise qu’en cas de besoin.
Résultat : Moi  Célestin Buhaton ! Le dernier des derniers, dans tous les sens du mot. Six cent dix-sept mille cinq cent vingt huit ans, sept mois et huit jours et seul au monde depuis la volatilisation de  Cosima il y a trois cent mille ans et des poussières. Je m’ennuie ! Mais je m’ennuie ! Comme on n’imagine pas, si on n’a pas fait l’expérience.
Tiens ! On dirait que l’ange gardien s’affole ! Qu’est-ce qu’il fait ? Un abri en alliage de ferocaïne et d‘hytoplasmin ! Bien essayé mon vieux ! Mais inutile ! L’astéroïde arr…

Dans le fracas qui suivit, on  entendit très nettement résonner une trompette. Célestin Buhaton allait être déçu.

Chambolle