Mauvaise journée ou retournement ? Nicolas Sarkozy a cédé devant la résistance de l'UMP à légiférer dans l'émotion sur la récidive sexuelle. A Davos, il est resté très prudent et compréhensif devant des banquiers qui se plaignaient du renforcement de la règlementation. En France, il n'avait rien à dire sur le chômage des plus seniors, une cible qu'il affectionne pourtant. Que se passe-t-il ?
Il est prudent devant les banquiers
Jeudi 27 janvier, Nicolas Sarkozy a filé au sommet des Riches à Davos. Là-bas, il a ressorti son laïus habituel, répété lundi dernier, sur le besoin de régulation des marchés et l'idée, vieille de 30 ans, d'une taxation sur les transactions financières internationales pour financer le développement. Il y ajouta une défense de l'euro, la même que celle du 31 décembre dernier : « Je sais que certains doutes de la pérennité de l'euro… L'euro c'est L'Europe et l'Europe c'est soixante ans de paix. Jamais nous n'y renoncerons… Les conséquences de la disparition de l'euro seraient tellement cataclysmiques qu'on ne peut jouer avec cette idée ». Il parla même de morale. « Il n'y a pas d'économie de marché sans un minimum de valeurs morales ».
Le plus surprenant était ailleurs. De puissants banquiers présents dans la station suisse se montraient publiquement grognons contre le risque de retour des réglementations, et notamment du renforcement exigé de leurs fonds propres, comme le rapporta le Figaro : « James Dimon, le patron de JP Morgan Chase, l'une des banques américaines les plus solides au plus fort de la crise, s'est fait leur porte parole: "Trop c'est trop !" » Serait-ce la fin du « banker-bashing » ?
Sarkozy fut étonnament prudent quand on sait combien il peut être cinglant. Il leur promit d'être « raisonnable » : « Je vois bien le risque, s'il y a trop de réglementations, on va développer le shadow banking.» Le Monarque exprime rarement publiquement son admiration pour l'Argent. Il réserve ses soutiens à la Richesse aux huis-clos du Premier Cercle de l'UMP. Sur les sujets qui le révoltent, il sait se montrer plus autoritaire, au moins dans le verbe. A croire que ces protestations d'un milieu bancaire qui a failli coulé l'économie mondiale et qui a été secouru à coups de centaines de milliards d'euros de par le monde par les Etats - c'est-à-dire les contribuables - n'étaient pas suffisamment révoltantes pour le Président des Riches.
Il abandonne les seniors
Il est certainement trop tôt pour commencer le bilan de la réforme des retraites adoptée le 27 octobre dernier. A l'époque, Eric Woerth, alors ministre du travail, nous expliquait que les mesures d'âge allaient mécaniquement augmenter le taux d'emploi des seniors.
La publication des statistiques du chômage à fin décembre permet enfin de tirer quelques conclusions, négatives, sur l'emploi en 2010, et en particulier chez les seniors. Parmi les inscrits à Pôle Emploi, les plus de 50 ans sans-emploi (catégorie A) ont cru de 450.000 fin 2009 à 523.000 un an plus tard. S'ajoutent les seniors chômeurs à temps partiel, soit 234.000 personnes (+33.000 en un an). Pire, les plus de 50 ans subissent la durée la plus longue d'inactivité : 353 contre 225 jours en moyenne d'inscription au pôle emploi (parmi les sortants). La reprise est là, nous répète-t-on ... depuis près d'un an !
Face à ce bilan catastrophique, la réponse gouvernementale est bien courte. Interrogé mercredi matin sur France Info, le ministre du Travail Xavier Bertrand a expliqué qu'il misait sur la poursuite des contrats aidés (réduits en 2011) et la personnalisation du traitement des chômeurs seniors. Mais de quoi parle-t-il ? la crise est toujours là. Pour preuve, le nombre d'offres d'emploi collectées par pôle emploi en 2010 s'est élevé à 250.600, soit 800 de plus qu'en décembre 2009, au plus fort de la crise. Quelle progression ! Quelle reprise !
Il cède à l'UMP
Dans l'affaire de Pornic, où la jeune Laëtitia n'a toujours pas été retrouvée 10 jours après sa disparition, Sarkozy a dérapé, puis cédé. L'homme a agi ssous le coup de l'émotion, nous expliqua François Baroin dès sa sortie du conseil des ministres mercredi. Une émotion très électorale. Mardi matin, il réclame une loi sur la récidive sexuelle à ses députés. Quelques ténors résistent. L'après midi, il lit quelques mots préparés sur le même sujet, alors qu'il se déplaçait à Saint Nazaire pour parler politique industrielle : « Mes pensées comme celles de tous les Français vont vers cette jeune fille, disparue, à Pornic, dans des conditions qu'il appartiendra à la justice d'éclaircir, mais qui hélas, laissent aujourd'hui craindre l'indicible. Un tel drame ne peut rester sans suite. ». Les mots sont choisis. Le lendemain, il en remet une couche. Jeudi, le Monde publie un article sur le suspect : ce dernier n'était pas un délinquant sexuel récidiviste, et la justice ne l'accuse pas de viol. Sarkozy recule, et publie une lettre envoyée le même jour à son ministre de la justice. Au passage, on comprend que François Fillon a retrouvé son rôle d'avant remaniement, celui d'un simple collaborateur. Dans son courrier à Michel Mercier, Sarkozy frôle à nouveau le dérapage : « Cette affaire suscite cependant une forte incompréhension chez nos compatriotes, qui ne peuvent admettre qu'une personne condamnée à de multiples reprises, notamment pour des faits d'une particulière gravité, puisse se soustraire délibérément à des obligations de surveillance imposées par la Justice.» Il parle de « dysfonctionnements qui portent atteinte au crédit de l'institution judiciaire. » Pas un mot sur les moyens. Et surtout il conclut : « Je souhaite que vous m'informiez dans les plus brefs délais des conclusions de cette enquête et des suites qui devront nécessairement y être apportées, si possible en évitant un nouveau dispositif législatif. » La phrase est lâchée. Sarkozy a cédé aux patrons de l'UMP qui ne voulaient pas d'une loi d'opportunité. L'évènement est politiquement majeur.
Sans doute énervé, le Monarque a immédiatement confié une mission à Eric Ciotti, le député spécialisé dans les questions sécuritaires, clone de Christian Estrosi dont il fut l'assistant parlementaire avant d'être élu à l'Assemblée en juin 2007. Ciotti est déjà responsable de la loi entrée en vigueur cette semaine qui suspend les allocations familiales aux parents d'élèves absentéistes. Sarkozy lui demande des pistes d'ici le 30 avril pour améliorer l'efficacité des peines, tant en milieu ouvert qu'en prison. Sans le vouloir, il reconnaît son échec dès son introduction : « Près de 30 000 peines sont restées en attente d'exécution pour la seule année 2009 ». La surpopulation carcérale est à peine mentionnée, mais pas les moyens de la justice en général. Les conseillers de Sarkozy ont gentiment fait fuité cette lettre de mission au Figaro. L'opération est électorale. Le candidat Sarkozy ne veut pas qu'on croit qu'il se désintéresse du sujet ni qu'il a échoué. Cela fait quand même près de 9 ans qu'il est en charge. Même les syndicats policiers s'indignent de l'imposture. Alors que la loi Loppsi II est examinée au Sénat, certains dénoncent le recrutement prévu de volontaires réservistes qui vise à compenser la baisse des effectifs dans la police nationale.
Avant de partir à Davos, mercredi en fin de journée, Nicolas Sarkozy a décoré son amie Mireille Mathieu de la Légion d'Honneur. « C'est fait, c'est avoué : je vous aime beaucoup! ». Ces propos pouvaient faire sourire celles et ceux qui avaient lu les comptes-rendus, dans la presse, des propos off tenus par Sarkozy après sa conférence de presse devant les journalistes présents : il s'exerça à démontrer combien il était devenu boulimique de culture littéraire ou cinématographique. Les témoins de la scène en furent presque gênés.