Si les vignerons de la cave coopérative de Britzingen élaborent cette cuvée depuis 2004, centenaire de la mort de l’écrivain, c’est que celui-ci est décédé dans la ville voisine de Badenweiler, lors d’une ultime cure destinée à soigner sa tuberculose. Le 2 juillet 1904, ses derniers mots furent : « Cela fait longtemps que je n’ai plus bu de champagne ». Et c’est après avoir vidé une dernière coupe qu’il se décida à quitter ce monde. Une fin toute russe, avec bien plus de panache qu’un Goethe demandant de la lumière, « Mehr Licht… », moins de confusion qu’un Balzac appelant un de ses personnages à la rescousse, « Appelez Bianchon ! Seul Bianchon peut me sauver ! » et bien moins de désespoir qu’un Maupassant s’écriant « Des ténèbres. Oh ! Des ténèbres ! ». Tchékhov refusa tout remède et préféra partir avec les bulles du champagne plutôt qu’avec le goût d’un quelconque médicament. Une douce fin pour celui qui aura toute sa vie fait preuve de tant de compassion et de bienveillance pour son prochain.
« Lorsqu’on entendit les pas d’Iégor Sémiônytch se rendant au jardin, Kôvrine sonna et commanda au domestique de lui apporter du vin. Il but avec délices quelques verres de Lafitte, puis se fourra la tête sous la couverture. Sa conscience s’embruma et il s’endormit ». On ne fait ni champagne, ni imitation de Lafitte à Badenweiler, mais ce Spätburgunder Spätlese Trocken (pinot noir, vendages tardives, sec) issu d’une sélection parcellaire, celle du Römerberg, rend un juste hommage à l’écrivain. Car si un musée ainsi qu’un buste ornant un parc de la ville rappellent sa mémoire, il était quand-même temps de faire quelque chose d’un peu plus gouleyant !
« Le reclus refusait vin et tabac. Le vin, écrivait-il, excite les désirs, et les désirs sont les ennemis directs du prisonnier. Il n’est, en effet, rien de plus ennuyeux que de boire du bon vin étant seul ». Voilà parole sage et c’est donc en bonne compagnie que j’ai dégusté cette bouteille. Une robe assez claire, un nez de fruits à noyaux typique des pinots noirs de cette région du Baden-Württemberg(quetsches, cerises noir) et une bouche qu’enrichit la mûre et des accents fumés, caractérisent notre Tchékhov fait vin. Nous sommes heureusement bien loin de ce sirupeux vin de Matrassi « que j’ai bu en me pinçant le nez » et n’avons pas connu les mêmes déboires que notre écrivain : « (…) j’aimerais que ce fut le contraire, c'est-à-dire que les repas soient mieux que les water-closets, d’autant plus qu’après le vin de Santorin que Korneïev m’a offert, mes intérieurs sont encombrés – c’est ainsi que jusqu’à Tomsk je me passerai de toilettes ».
Les textes sont extraits de : Le moine noir, Le pari, Un voyage à Sakhaline.