Si cette dernière a accumulé un certain nombre d’erreurs au début de son mandat — dues en partie à son inexpérience — il faut lui concéder que ses marges de manœuvre étaient réduites. Sans doute parce qu’aucun des États membres n’a réellement souhaité déléguer tout ou partie de sa diplomatie aux institutions européennes. De fait, la Haute représentante a fait ce pour quoi on l’avait nommé : la tapisserie.
Ces balbutiements diplomatiques dépassent le simple cadre des aléas de la construction européenne. Ils témoignent d’un hiatus qui ne dit pas son nom : l’Union n’a toujours pas tranché entre une construction purement économique et une construction politique en vue d’un fédéralisme. Point de diplomatie sans une armée commune. Et point d’armée commune sans une ambition politique forte. Un vide d’autant plus fâcheux qu’un vent de liberté souffle aux portes de l’Europe qui assiste, impuissante et embarassée, au réveil violent des sociétés civiles arabes.
La faillite des États providence
Du point de vue économique, la situation n’est guère plus brillante. Les États providence fatigués sont à bout de souffle et s’engagent lentement vers une réduction des déficits publics afin de sortir de la crise de l’euro. « Les États ne peuvent pas faire faillites », se plaisait-on à rappeler dans les ministères européens encore récemment. Les Grecs découvrent, dans la douleur, les mirages du tout étatique. D’autres sont sur le point de suivre : en Irlande, en Espagne, ou au Portugal (et en France ?) Les marchés ont bon dos et constituent de bien commodes boucs émissaires. S’ils sont ces horribles prédateurs que médias et politiques conspuent à longueur de tribunes, il eut été de bon ton de ne pas les solliciter pour financer le déficit toujours plus abyssal de nos systèmes d’assistance publique. « Mais qu’allaient-ils faire dans cette galère ! », aurait écrit Molière…
Après les crises grecques puis irlandaises, les États membres ont mis en place un Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour aider les pays en difficulté. Et l’ampleur de la situation est telle que le montant des fonds nécessaires en cas de faillite d’un État augmente de jour en jour. On est déjà bien loin des 110 milliards débloqués en mai 2010 pour soutenir la Grèce. Les discussions actuelles portent sur le chiffre de €1.500 milliards.
Le réveil des sociétés civiles
Sauf que cette fois, les opinions publiques européennes râlent. D’abord parce que les citoyens sont de plus en plus méfiants vis-à-vis d’une construction qui ne leur a jamais semblé aussi lointaine. Ensuite parce qu’ils comprennent qu’ils vont devoir régler la facture des politiques publiques dispendieuses qui n’a cessé de s’alourdir au gré des promesses électorales. Déjà, les Allemands en ont assez de payer pour les cigales de l’Europe qui ont allègrement piétiné les conditions du traité de Maastricht.
L’Europe des technocrates
Les critiques formulées à l’encontre de la construction européenne sont trop souvent balayées d’un revers de la main, taxées de fascistes et de xénophobes. Encore faut-il savoir de quelle construction on parle. L’Union actuelle tend à transférer de plus en plus de pouvoirs du politique aux fonctionnaires européens. Or la seule légitimité qui vaille est celle qui a été accordée par les peuples, souverains, dans le cadre d’un suffrage. L’influence de plus en plus forte de la technocratie dans les prises de décisions constitue sans doute l’un des plus grands défis auxquels l’Europe aura à faire face dans le futur. Déjà, des lois de plus en plus contraignantes sont adoptées au niveau communautaire et les crispations, encore latente, commencent à émerger. Il est à craindre des réactions violentes lorsque les peuples européens demanderont des comptes à leurs responsables politiques.
Symbole de ces convulsions, la crise politique en Belgique, pays siège de la capitale européenne, reflète à elle seule les ambigüités d’une Union qui ne sait pas choisir le destin qu’elle veut se forger. Il serait naturellement exagéré d’affirmer que tout va mal. Toutefois, les prémices d’une crise politique et diplomatique majeure sont jetées.
Il est donc urgent de liquider les derniers restes des États providence moribonds afin de libérer les forces vives, propices au retour de la croissance en Europe, et de redonner les reines de la construction aux politiques, seuls dépositaires de la volonté des peuples. Il faudra également clarifier une fois pour toute si l’Union doit n’être qu’une alliance économique ou si elle doit se diriger vers un modèle politique dont les fondations restent à définir. Si les Européens pourront accepter un échec, voire un retour en arrière pour mieux repartir, il est peu probable qu’ils acceptent une trahison.