Le déjeuner aux pivoines…

La lamproie se pêche entre janvier et la mi-mai. En début de saison, elle est peu abondante mais de très bonne qualité. Sa chair est ferme et goûteuse. Celles qui arrivent en janvier et février sont celles qui étaient le plus près de l’estuaire. Elles ne se sont donc pas épuisées pour revenir frayer et sont dans une forme optimale. Mars et avril fournissent de très belles lamproies et en abondance. Début mai, les eaux se réchauffent et la qualité baisse. Les lamproies viennent de très loin, sont fatiguées et ont brûlé une grande partie de leur masse musculaire. Elles sont décharnées et les gens d’ici disent qu’elles sont cordées. Le véritable amateur de ce met délicat sait s’arrêter à temps et ne pas consommer ces retardataires. Pour ce qui nous concerne, nous ne cuisinons plus après le 30 avril.
Le retour des beaux jours est par contre le prétexte à des déjeuners au bord de l’eau ou la lamproie tient toute sa place. Je me souviens de ce déjeuner où de lourdes brassées de pivoines ornaient la table. La lamproie avait mijoté depuis plusieurs jours dans sa sauce au vin dans la Aga et fut servie sous un toast parsemé d’aillet ciselé comme il se doit. Suivèrent de l’agneau de Pauillac grillé et une salade de pommes de terre nouvelles simplement assaisonnée d’huile d’olive et d’aillet. Des magnums du Château Les Ormes-Sorbet 2005 nous accompagnaient avec talent.
L’aillet est le petit nom bordelais pour la baragane, ou encore poireau des vignes, allium ampeloprasum, qui pousse dans l’inter-rang des vignes. Sa feuille est particulièrement tendre et goûteuse. Il se déguste le mieux à la croque-au-sel, une histoire d’hommes, mais il accompagne aussi merveilleusement la lamproie à la bordelaise ou des oeufs brouillés par exemple. On le surnommait autrefois l’asperge du pauvre mais il compte des inconditionnels, dont nous sommes, et sa présence sur les tables est le signe infaillible de l’arrivée prochaine des beaux jours.